Retrouvez toutes les photos du jour 64
Si la fête de la bière laisse un agréable souvenir, elle offre aussi la désagréable sensation d’avoir les cheveux qui poussent vers l’intérieur. Alors que l’ensemble du dortoir commence à s’agiter, je reste donc bien emmitouflé dans mon sac à observer le réveil de Picasso et ses teutons. C’est qu’ils n’en mènent pas large non plus, nos nouveaux amis allemands. Ils ont probablement bu aussi plus que de raison, et au matin de leur cinquième jour, la fatigue commence à se faire ressentir autant que leurs premières phlyctènes.
Ils remettent en place leurs cheveux ébouriffés, ils baillent aux corneilles, soupirent et se plaignent. Ils peinent à rassembler leurs affaires, s’égarent dans des oublis et un manque d’organisation évident. Mais qu’à cela ne tienne, la bonne humeur et la cohésion de leur groupe prend le dessus.
Olivier et moi serons encore parmi les derniers à quitter l’albergue. Il est pourtant à peine 7h30 ! Le soleil nous inonde déjà de ses rayons dans un ciel à peine molletonné de quelques nuages. L’air est frais et un petit vent juste suffisant pour ne pas nous gêner vient compléter une météo idyllique pour marcher. De quoi entamer une petit étape sous les meilleurs auspices.
De l’albergue au pont de Puente la Reina, il n’y a pas qu’un pas ! Il faut traverser tout le village, repasser par la place qui fut témoin de nos excès d’hier, observer une bande de jeunes éméchés qui sortent à peine d’une boite de nuit en fanfaronnant à tue-tête, croiser Eric et Anne-Claude, sur qui je peux enfin coller un vrai prénom. Avec ses blancs et son regard perçant, je lui trouvais en effet un petit air de vampire et je l’avais jusqu’alors baptisé Van Helsing.
Puis nous voilà au fameux pont construit au XIème s. par la reine Munia qui était las de voir les pèlerins risquer leur vie pour franchir l’Arga. Quasi inchangé, ce magnifique ouvrage d’art à su résister aux affres du temps. Combien de pèlerins l’ont-ils empruntés ? Probablement des centaines de milliers. Aujourd’hui, il verra passer au moins deux belges !
Le trajet est ponctuée de petites côtes et de descentes sans grandes difficultés. Les paysages espagnoles s’avèrent plus magnifiques les uns que les autres, avec des champs à perte de vue parfois même agrémenté d’une œuvre d’art éphémère. Je ne me lasse pas de découvrir chaque nouvelle vue au détour des différents sentiers. Et même si parfois on passe par quelques routes un peu plus fréquentées, c’est pour la plupart du temps par des chemins de traverses nous amenant de village en village. Tout est ici surprenant, des gros lézards qui se dorent au soleil, jusqu’aux canaux suspendus qui amènent l’eau d’une colline à l’autre.
Quant aux journées, elles ont ceci de monotones qu’elles se déroulent souvent selon le même scénario. Des rencontres qui se font au gré des kilomètres, parfois dans un bar où la foule fait halte, à une aire de repos aménagée pour pique-niquer, ou encore que je rattrape, tout simplement.
Réveillé dès l’aube les premiers pèlerins, nous ne sommes jamais pressés, Oli et moi. On replie tranquillement nos affaires, puis on quitte l’albergue en quête d’un bar pour un déjeuner rituel : pan de chocolate, porción de tortilla y cafe con leche. On part ensuite ensemble, avant de se quitter pour marcher chacun de notre côté à notre rythme. Et on se retrouve invariablement au soir, riche de nos rencontres et de nos anecdotes du jour, chacun apportant à l’autre la vision et le ressenti qu’il a eu du Chemin.
Au fil des jours, on s’installe dans un wagon jusqu’à rencontrer les mêmes personnes et à cerner leurs petites habitudes.
Retrouvez toutes les photos du jour 64
© Luc BALTHASART, /2019