Via Tolosana, jour 1 :
Arles – Domaine du château Saint-Cyrgues :
Au départ d’Arles ce matin, j’en profite pour visiter les Aliscamps. Impressionnant alignement de sarcophages romains et médiévaux, c’est aussi là que je trouve mon premier balisage qui me fera traverser la ville.
Passage obligé par la cathédrale St-Trophime pour faire tamponner ma crédentiale, j’ai ensuite le choix de traverser une partie de la Camargue ou de suivre le tracé du Petit Rhône. Je prends cette option, me disant qu’un peu d’eau et de fraîcheur seraient les bienvenues. Quelle désillusion : un chemin d’empierrement blanc et poussiéreux, pas un pet de vent, encore moins d’ombre, et le Rhône qui joue à cache-cache à travers les arbres et qu’on approche rarement à moins de 50 mètres
Enfin bref, je prends mon mal en patience pendant 15km, avant d’entamer 8 km d’asphalte et d’arriver exténué, déshydraté et trempé à la mairie de St-Gilles où l’employée a du se demander face à quel spécimen elle se trouvait.
J’en profite pour me rafraîchir et faire le plein de toutes les gourdes afin de bivouaquer en toute tranquillité.
Puis je pars en quête de fraîcheur au sein de l’église.
J’y rencontre Fred, pèlerin martiniquais originaire de Nîmes, parti également d’Arles ce matin directement après y être arrivé en train.
Je prends vite congé de lui, bien décidé à encore avancer un peu et trouver un coin pour me poser.
Que de la route, mais en longeant des vignes et des plantations de délicieux abricots ! J’en ai même profité pour ma rafraîchir avec les arroseurs automatiques 😂😂
Et c’est ainsi que je suis actuellement à côté d’un canal en train de me faire littéralement dévorer par une horde de moustiques affamés !
Je vous laisse, j’ai à faire 😤😤😤👏👏
Via Tolosana, jour 2 :
Domaine du Château Saint-Cyrgues – Galllargues
Une journée toute en douleurs ! Moi qui ne suis généralement pas sujet aux ampoules, me voilà avec deux énormes sur la plante des pieds, et l’arrière de mes talons tout irrités. Je n’ai comme explication qu’une chaleur accablante et des pieds qui transpirent, mais quoiqu’il en soit, me voilà bien emmerdé !
Et donc, journée au ralenti où j’ai marché clopin-clopant jusque Vaulvert pour une première pause au bar du village, avec pour seule idée de refaire ma réserve d’eau et prendre UNE bière. C’était sans compter tous les habitués avec qui j’avais rapidement sympathisé, et qui se battaient presque pour m’offrir à boire. Résultats : 3h30 de pause, et 7 chopes dans les dents ! 😂😂
S’en suit les 12 prochains et pénibles kilomètres vers Galllargues, sur des routes ou des sentiers plus ou moins agréables, mais qui me semblaient tous pénibles tant les ampoules me font souffrir.
Accueilli ce soir chez Pascal et Lionel, adorable couple qui m’a proposé de m’héberger suite à une annonce que j’avais publiée sur la plateforme de couch surfing
Je suis reçu et installé comme un prince, un repas délicieux et débordant de saveurs du Sud, en compagnie de mes hôtes aussi zen que curieux et sympathiques. La soirée s’est prolongée jusqu’à bien tard au gré de nos conversations, de tout, de rien, du Chemin ou de la vie.
Sur ce, après la courte nuit en bivouac où les moustiques auront finalement eu raison de moi, je compte sur cette nuit pour le requinquer !
Via Tolosana, jour 3 :
Gallargues – Vendargues
Que je vous raconte ma journée ! Et autant vous prévenir, ça va être long !
Tout avait si bien commencé dans ce petit nid douillet qu’est le jardin de Lionel et Pascal. Une bonne nuit, un réveil solaire et souriant, des pieds soignés et « presque plus » douloureux.
Lionel me dépose là où il était venu me chercher hier, je file à la pharmacie prendre de quoi enrubanner les petons, et je repars comme au premier jour, sifflotant le cœur haletant.
Tout va très bien se passer pendant une vingtaine de bornes. Puis bim, les douleurs refont surfaces, le soleil tape comme jamais (36° sans ombre), et je longe sans cesse l’autoroute avant d’être embarqué dans un interminable dédale de garrigue.
J’arrive à l’entrée de Vendargues sans plus la moindre énergie, et c’est là que la magie du Chemin commence à opérer.
L’arrivée à Vendargues se fait par un parc où je trouve tout d’abord un point d’eau salvateur.
Ensuite, après avoir demandé mon Chemin, je m’enquière d’un endroit où loger. Ma première idée était de bivouaquer là, à côté du point d’eau. Puis de fil en aiguille, je m’enhardis. La première personne fait fi de ma demande. La seconde refuse poliment. Mais il m’informe qu’à l’église, ils acceptent parfois en dernier recours les pèlerins en perdition.
Me voilà donc sur la route du presbytère quand un véhicule s’arrête à ma hauteur. Et d’emblée, ils me proposent de m’accueillir. Je refuse poliment, prétextant que je ne veux en rien déranger et que je vais d’abord aller voir le curé. Sur leur insistance, il me remet tout de même sa carte au cas où… Une fois parti, je fond en larmes, de douleur et de fatigue, mais surtout d’émotion face à tant d’empathie et de générosité.
Curé injoignable, mais on m’avait aussi parlé d’un couvent. J’interpelle une dame sortant d’un magasin pour savoir où se trouve ce repère de bonnes soeurs. Ni une, ni deux, voilà qu’elle m’embarque dans sa voiture, tout d’abord pour chercher après ce satané couvent qu’on ne va jamais trouver, et pour finalement me proposer de venir chez elle !
Lorsque j’ai démarré ce Chemin, j’avais l’intention de le vivre de la manière la plus simple qui soit, en bivouac ou en laissant la porte ouverte à la Providence.
La Providence a aujourd’hui un prénom : elle s’appelle Claire. Et je passerai une merveilleuse soirée en compagnie de toute sa tribu dans la grande demeure familiale divisée en autant d’appartements que d’enfants ou de neveux : Jean-Marie le mari, Adrien et Maud, Sébastien et Ludivine, ainsi que Simon.
Un repas sur le pouce fait de brics et de brocs, un buffet aussi titanesque que délicieux.
Et pour finir, cerise sur le gâteau : partie de pétanque endiablée sur le terrain familiale, jusqu’à 1h30 du matin !
Quand je vous dis que j’en ai pleuré d’émotion plus d’une fois..
Demain est un autre jour. Le Chemin me donne des lecons. 85 km en 3 jours, sous un soleil de plomb et des sentiers surchauffés, il me punit à travers mes pieds. Mais par ces rencontres et cette générosité, il me dit aussi de continuer !
Demain, je reprendrai mes soins, direction Montpellier. Et si je ne dois faire que 12km, ça sera déjà une victoire.
Via Tolosana, jour 4 :
Vendargues – Montpellier
Petite journée aujourd’hui, pour voir comment vont les pieds.
12km pour rallier Montpellier, essentiellement de l’asphalte, mais il fallait bien y passer.
Bon, ne nous leurrons pas, ça va cahin-caha.
D’abord, le balisage souffre de cruels manquements. A plusieurs reprises, j’ai dû demander mon chemin, que ça soit parce que j’etais franchement perdu ou pour me rassurer.
Comme quoi, c’est un Chemin des grandes premières : premières ampoules, premières douleurs inhérentes à ces phlyctènes, alors que pour une fois cette année, les pieds se comportent plutôt bien au niveau des tendons/ligaments (rappelez-vous, je suis né avec une malformation… ), premières grandes chaleurs, premières grandes soifs aussi (il y a peu de points d’eau), premiers vraies gros soucis de balisages, etc.
Mais revenons sur ces ampoules, puisque le trajet d’aujourd’hui fut d’un ennui sans nom.
Je les ai « dépiautés » de leurs pansements pour voir un peu leur gueule. Pas joli à voir, je vous mettrai bien des photo, mais il a des enfants et des gens qui passent à table. A un point tel que j’hésite sérieusement maintenant à me poser une journée, ce qui ne m’était jamaaaiiiiis arrivé sur les deux premiers Camino (Liège-Fistera et Irun-Santiago). Là, elles respirent pour la nuit. Demain, pharmacie, pommade antiseptique et pansement dermique, et on verra bien. D’autant que demain commencent les montagnes.
Enfin bref, je suis d’ores-et-déjà autorisé à me poser deux nuits à l’accueil St-Roch de Montpellier. On avisera demain… C’est rageant quand ta volonté est là, mais que tu dois accepter une leçon !
Montpellier,
3 jours d’arrêt.
Ça sonne un peu comme l’annonce d’un train entrant en gare, et c’est vrai que quelque part, le Chemin est un voyage.
Mais la comparaison s’arrête là.
Victime d’une double crevaison (😂😂), je me suis rendu ce matin à la pharmacie. Petits soins prodigués sur place par la pharmacienne, explications en long et en large, nettoyage de la plaie, pommade désinfectante et cicatrisante, tulle gras et pansement. Avec interdiction formelle de redémarrer avant cicatrisation complète, sous peine d’infection et d’antibiotique (c’est tout juste si elle n’a pas parlé d’amputation ! 😂😂). Elle a même failli me menacer d’une fessée si je ne respectais pas ses consignes !
Je n’ai donc d’autre choix que de me plier à ses ordre…
Il me reste à négocier mon séjour prolongé à l’accueil St-Roch, mais puisqu’il y a peu de pèlerins, ça devrait être accepté sans problème.
PS : désolé pour les photo. Âmes sensibles s’abstenir (et encore, vous n’avez pas l’odeur… 😂😂😂)
Que ceci reste entre nous… 😂😂😂
Hier est arrivé un couple d’hospitaliers qui va rester ici à demeure une quinzaine de jours dans un appartement indépendant jouxtant le gîte. Des gens très bien au demeurant, ayant déjà arpenté plusieurs voies.
Là où je souris, et n’y voyez que malice sans aucune arrière pensée, c’est quand ils se lèvent ce matin sans avoir fermé l’œil de la nuit, en se plaignant du bruit alors que nous sommes situés en plein cœur du cœur historique, piétonnier qui regorge de restaurants, bars et cafés. Avec pour seule rengaine : « on ne restera pas 15 jours ici ! » 😂😂😂
Et quand je les interroge innocemment sur leur programme de la journée, je m’attendais à des considérations plutôt organisationnelles et pèlerines.
J’ai été surpris de la réponse qui a fusé : visites, musées, plage, bord de mer, et bien entendu au soir, resto…
😂😂😂
PS : sinon, pour ceux qui suivent, les pieds vont plutôt bien. Très très nette amélioration suite aux soins prodigués par la pharmacienne. Je continue le traitement. Les deux phlyctènes sur les plantes des pieds ne sont déjà presque plus qu’un mauvais souvenir (et ça tient du miracle quand on voit les photo d’hier matin !). Reste une desquamation récalcitrante sur l’arrière du talon droit, mais ça évolue bien…
Via Tolosana, jour 8 (après 3 jours d’arrêt) :
Montpellier – Montarnaud
J’étais impatient ce matin de reprendre le Chemin. Trois jours à me faire ch… comme un rat mort sans pouvoir bouger du gîte pour soigner des ampoules récalcitrantes, ça commençait à bien faire.
Premier levé ce matin, je fais le café, dresse la table, boucle enfin mon sac, soigne l’arrière du talon droit encore un peu sensible.
Lorsqu’enfin j’hume l’air de dehors, je respire !
Vingt km aujourd’hui, on va y aller molo, et surtout faire des pauses pour aérer et changer de chaussettes, en espérant que cela suffise.
La sortie de Montpellier est finalement beaucoup moins désagréable qu’on me l’avait annoncé. Je dirai même presque que j’ai kiffé, mis à part quelques km en bord de tram ou de grand’route.
Quelques anecdotes aujourd’hui. Tout d’abord à Grabels, premier village traversé. Alors que j’entre dans un snack pour demander de l’eau, on me tape sur l’épaule. Un jeune maghrébin, qu’on pourrait supposer étranger au Chemin, me tend une bouteille d’eau bien fraîche qu’il venait de prendre dans le frigo : « Tenez, m’sieur, c’est pour vous, et bon chemin. Mario, tu ajoutes ça à mon compte, c est pour moi !
Ensuite, et c’est là la plus belle histoire du jour. J’ai trouvé deux crédentiales parfaitement propres et bien pliées en plein milieu de la Garrigue. Je les ramasse, les ouvre, les inspecte : deux compatriotes ! Mince alors, quand on sait la « valeur » d’une crédentiale dans le cœur d’un pèlerin, j’en étais triste pour eux.
Vite, alerte sur le groupe Compostelle, branle-bas de combat dans la communauté, recherches, etc.
Et finalement, alors que je pensais bivouaquer mais que j’ai changé d’avis en dernière minute et réserve une place « au chaud » pour assurer les soins de mes pieds, voilà qu’au gîte, je rencontre un couple de belges.
» Pascal ? Anne ? »
« Oui », me répondent-ils les yeux ébahis que je connaisse leurs prénoms et juste avant que je sorte de ma poche tel un Gérard Majax leurs deux crédentiales.
C’est tout… Pour le moment !
Via Tolosana, jour 9 :
Montarnaud – St-Guilhem
Hier, j’ai oublié de voir parler de Pierre. Je l’ai croisé quelques km avant Montarnaud. Il se reposait avant d’entamer les derniers km, et il était finalement dans le même gîte que Pascal, Anne et moi.
Un homme un peu à la dérive, un vie familiale qui va mal, un boulot qui n’est plus, et d’autres histoires l’ont décidé à partir. Un peu à l’arrache, avec son sac de 13kg, où rien n’est vraiment pensé. Mais une volonté de se relever et de trouver un nouveau souffle.
Sinon, aujourd’hui, un parcours relativement facile, si l’on excepte la sortie de Montarnaud, et surtout très beau.
La sortie de Montarnaud, donc, se fait en escaladant une falaise de Garrigue rocailleuse. Ça fait mal au pied, c’est très pentu et fatiguant. Mais une fois au sommet, ça n’est plus que sentiers ombragés.
Ensuite, des kilomètres interminables sur une voie ferrée désaffectée. Certes, les paysages sont magnifiques. Mais marcher ainsi sur l’ancien ballast, ça casse les chevilles.
A partir de Aniane, on sillonne à travers les vignes et champs d’oliviers. C’est beau, mais c’est chaud !
Mais en récompense, nous arrivons au Pont du Diable. Véritable plage qui ponctue une gorge encaissée, c’est presque un véritable station balnéaire, avec ses locations de canoë, son poste de secours et son marchand de glace qui passe en poussant sa charette.
Puis on arrive gentiment à St-Guilhem, merveilleux village niché au creux d’un cirque majestueux.
Niveau anecdotes, vous allez me demander ? Puisque c’est de ça dont vous êtes friands.
Première pause à Aniane. Un bar animé à la terrasse rafraîchie par des brumisateurs. Je sirote tranquille une petite bière, quand une seconde vient se poser à côté. Sans rien me demander, un monsieur qui m’avait vu arriver, tenait absolument à contribuer à mon repos.
C’est ensuite au Pont du Diable que j’aurai ma bel rencontre du jour. J’avais décidé de m’y baigner. Tant qu’à faire, et à 4km de l’arrivée, se rafraichir me ferait le plus grand bien. Je demande alors à un jeune homme si je peux poser mon sac et mes affaires à côté de sa roulotte de location de canoë. Et c’est alors que sort de cette même roulotte, Anne-Cécile. Et elle va directement me prendre en sympathie, m’offrant un bouteille d’eau, une nectarine, une chaise pour me reposer, et une longue discussion sur son job d’été, son besoin de faire le bien autour d’elle, et son envie d’un jour partir sur le Chemin.
Au moment où j’arrivais, elle venait de sauver une jeune fille qui avait sauté dans l’eau du haut du pont (18 m). La gamine, 17 ans, ne sentait plus ses jambes et avait failli se noyer. La semaine dernière, me raconte-t-elle, c’est un jeune homme de 25 ans qui y était décédé. Et tous les jours, des jeunes intrépides, pour ne pas dire inconscients, tentent le coup d’adrénaline.
Lorsque je reprend ma route pour St-Guilhem, ses propos seront confirmés par une horde de pompiers et de policiers. Un peu plus haut dans les gorges, un jeune venait de frapper un rocher en sautant dans l’eau. L’hélicoptère est même appelé, et j’apprendrais par la suite, qu’il était atteint à la colonne et ne savait plus bouger ses jambes. 17 ans également…
Arrivée tardive à St-Guilhem. Pas envie de me prendre la tête à chercher un couchage. Sur le parking où je cassais la croûte, j’interpelle un riverain qui me propose le sous-sol de sa maison en construction, ou le terrain de foot à la sortie du village.
Va pour le terrain de foot, et un hôtel 1000 étoiles entouré de montagnes. Les chouettes hululent au loin et ça résonne de partout…
Bonne nuiiiiit 😴😴😴
Note : Pas de réseau hier soir, c’est pourquoi je ne poste que ce matin 😉
Via Tolosana, jour 10 :
St-Guilhem – St-Jean-de-la-Blaquière
Si St-Guilhem est un petit coin de paradis, en sortir est un enfer !
Mais commençons par le début, une nuit en bivouac aux abords du terrain de foot.
Tout avait si bien commencé, les étoiles commençaient à scintiller, quelques éclairs de chaleur éclairaient au loin, sans le moindre coup de tonnerre. Une bande de jeunes est venue faire un pique-nique nocturne jusqu’à environ 23h30, sans même qu’ils me remarquent. Les chouettes hululent, quelques chevreuils aboyaient. Enfin bref, les prémices d’une agréable nuit…
C’est vers 1h50 que tout s’est gâté, quand une averse, d’abord timide puis franchement soutenue, m’a obligé en catastrophe et à la lueur de la frontale à trouver un autre endroit, deux arbres pas trop distants, un sol plat et accueillant, pour pouvoir monter en hâte mon tarp.
Puis alors que je commençais enfin à me rendormir, les chevreuils se sont approchés, suffisamment en tout cas pour que je puisse entendre leurs sabots claquer le sol.
Résultats : une nuit un peu courte, abrégée dès potron-minet par les papy qui venaient promener leurs chiens-chiens.
Au réveil, 7h40, je remballe mon bardas, et me dirige vers la ville en quête d’une Sœur pour faire tamponner ma crédentiale (oui, je sais, j’aurai pu le faire hier mais j’avais oublié…)
Puis à 9h30, c’est le départ ! Et quel départ. Imaginez que vous dormiez au pied de la plus hautes des montagnes. Et que le lendemain, en guise d’apéro, vous devez en atteindre le sommet !
Des kilomètres de montée rocailleuse, parfois en plein soleil. Des vues à couper le souffle, mais il n’y avait pas besoin de ça ! J’étais littéralement à bout de souffle. Cette montée m’a scié les jambes pour le reste de la journée. Et je n’en étais qu’à l’apéro.
Parce que les passages se sont succédés à un rythme infernal, et que ça monte, et que ça descend, et que je n’avance pas tant je suis en plus épuisé de ma mauvaise nuit.
Certes, j’en ai pris plein les yeux. Mais il arrive un moment où fatigue et douleur prennent le dessus sur le plaisir de la marche et de la découverte.
J’arrive à St-Jean-de-la-Blaquière avec des jambes en coton.
Aussi, aujourd’hui, c’est gîte ! J’y retrouve Anne et Pascal, ceux-là même qui avaient égaré leurs crédentiales avant-hier. Pascal viendra même à ma rencontre. Je me revoyais 4 ans auparavant, aux portes des Pyrénées, alors que j’avais fait de même envers mon ami Oli Qui épuisait ses derniers instants d’énergie à quelques centaines de mètres du point d’arrivée. J’ai pu apprécier aujourd’hui à sa juste valeur le soulagement de voir arriver quelqu’un pour nous soutenir.
Pas d’anecdotes particulières aujourd’hui. Une journée de poussières, de soleil et d’efforts. Un trajet annoncé à 23km, et qui en fait finalement 28. Ceci explique aussi cela !
Ah si, un truc : alors que je finissais à peine d’atteindre le sommet du premier col, éreinté et en nage, alors que j’étais assis à l’ombre sur un rocher pour un peu récupérer, je vois arriver un jeune homme, à peine 25 ans, en survêt de sport, le nez figé sur son portable, sans la moindre goutte de sueur. J’ai cru halluciner ! Je ne saurai jamais d’où il venait et encore moins où il allait. Tout ce que je sais, c’est qu’il n’y a qu’un chemin pour l’ascension. Comment diable a-t-il fait pour y arriver sans suer et les cheveux encore gominés ????
Via Tolosana, jour 11 :
St-Jean-de-la-Blaquière – Lodève
Une toute toute petite étape aujourd’hui, à peine 15 km. Et quelle étape : magnifique !
Mais encore une fois, commençons par le début… Asseyez-vous, ca va être long !
Hier soir, en rentrant d’avoir été manger une pizza avec Anne et Pascal, nous découvrons un inconnu dormant du sommeil du juste dans un coin d’un des dortoirs. Isolé et discret, nous ne le derangeons pas, mais nous trouvons tout de même un peu louche sa façon de débarquer sans prévenir à 22h passées… Enfin soit…
Douce et agréable nuit, seul dans une chambre de sept, je dois avoir certainement ronfler comme un ours tant j’étais fatigué de ma nuit précédente et de la marche éreintante.
Vers 5h du matin, lumière, chasse d’eau, quelques bruits, mais sans plus. Je m’en étonnais, car Anne et Pascal avaient dit qu’ils partiraient plus tard qu’à leur habitude (ce sont des lève-tot, marcheurs à la fraîche dès 5h30-6h !!! 😱😱😱)
Je me rendors donc, convaincu d’un simple pipi nocturne.
7h30, mon réveil sonne, pas un bruit. Je le place sous silence, il resonne : 7h45 – 8h – 8h 15.
A 8h30, je me décide quand même à me lever pour trouver un gîte complètement vide, et une table dressée pour mon déjeuner ( je suis belge, et chez nous, le matin, on DÉjeune, on enlève le jeun de la nuit ! Pourquoi « petit » ? 😂😂)
Adorable attention de mes amis belges, une tranche de pain, un petit pot de beurre, une rondelle de saucisson et un demi tranche de pain d’épice.
Puis arrive Nathalie, la responsable du gîte, aussi dynamique que fofolle et aux petits soins pour « ses » pèlerins (avec la bière à 50cts !!! 🍻)
Je démarre finalement à 10h pour un très beau début de parcours à travers vignes et collines, un peu dur, mais en rien comparable à hier.
Seule la montée vers le prieuré de Grandmont fut véritablement pénible. Après, ça ne sera que sentiers bucoliques à travers des pinèdes et des bruyères plus hautes que moi (des bruyères ?) en passant par des falaises et des rochers magnifiques !
Arrivé au prieuré, voilà que je trouve un sac à main sur le bord du Chemin. Parfaitement posé là au milieu de nulle part !
Je l’inspecte, trousses à maquillage, un portable, pas de papiers d’identité, je crie à travers champs pour qui m’entende, pas de réponse. Je décide donc de le laisser là et d’aller voir jusqu’au prieuré. On ne sait jamais…
Là-bas, accueil un peu froid de la préposée, qui n’avait cure de mon histoire et ne daigna même pas me donner un peu d’eau. Soit…
J’interroge les personnes qui pique-niquaient sur le parking. A priori, ce sac n’était à personne.
Bon… Ben… Je continue mon Chemin, jusqu’à l’entrée du village de Soumont.
C’est là que je retrouve étonnamment Anne et Pascal. Une petite erreur de parcours, un heure à visiter le prieuré, et voilà que je les rattrape. On discute de l’inconnu d’hier, et Anne m’apprend que c’est lui qui est parti comme un voleur à 5h du matin ! Il restera un éternel mystère…
Quant au sac, énigme résolue : deux des dames interrogées sur la parking passent à notre hauteur et toutes heureuses de me revoir, m’annoncent que la propriétaire du sac était dans le prieuré au moment de mon passage, et soulagée de retrouver son bien.
Fin de parcours, descente vers Lodève, par des sentiers toujours aussi beau. Je traverse un élevage de chevaux où tous me suivent à mon passage.
Puis à Lodève, pas moyen de rentrer en contact avec le proprio du gîte. Il me faudra l’aide de Pascal, contacté par téléphone, pour qu’il me trouve miraculeusement un autre numéro d’appel et qu’enfin je puisse patienter sereinement assis sur le seuil de la maison.
Et c’est ainsi que débute la dernière partie du récit du jour.
Pendant que je patientais et que j’attendais des nouvelles de Pascal, la voisine arrive. Je lui demande à tout hasard si elle connaît son voisin. A mon grand dam, non. Mais elle va s’avérer adorable avec moi. Tout d’abord d’une empathie exemplaire, elle va chercher avec moi une solution. Ensuite devant ma détresse, elle va me proposer de me loger en dernier recours, si je ne trouve pas avant le début de soirée. Enfin, alors que dans la conversation j’apprends qu’elle est infirmière, elle m’offre deux pansements « seconde peau » (type compeed, mais en plaque 10×12 à découper sur mesure). Et cerise sur le gâteau, après avoir enfin pu joindre mon hôte et alors que je lui envoyais un message pour la remercier de sa gentillesse et son humanité, voilà maintenant que j’ai rendez-vous demain à 6h30 à son cabinet pour soigner mes ampoules !!!
Finissons par la rencontre inattendue du jour : Chantal, 74 ans, françaises expatriée pendant plus de 50 ans à Bruxelles et parlant mieux wallon que moi !
C’est au moment de l’apéro, à la terrasse d’un bar de banlieue avec Anne et Pascal, qu’on croise sa route. Pétillante, énergique, drôle, lucide et maline comme un singe, c’est un personnage à elle toute seule, et elle fera notre soirée jusqu’à 21h !
Sur ce, retour au bercail, ravioli en boîte, et dodo. Demain, debout à l’aube pour soigner les petons…
Via Tolosana, jour 12 :
Lodève – Lunas
A 6h30 tapante, j’étais en faction devant la porte d’Amélie, l’infirmière rencontrée hier.
Le Chemin n’est que rencontres et nous sommes souvent surpris par la générosité, l’empathie et la sympathie des gens. Il suffit parfois de demander pour recevoir, sans autre attente en retour que le plaisir et la satisfaction d’aider. C’est ce qu’Amélie m’a offert aujourd’hui matin : du temps et des soins.
Je repars avec un pansement tout neuf et des conseils.
Lorsque je quitte Lodève, je remarque une dame occupée à faire son « Chi Gong » sur le bord de la rivière. Une dame ? Je reconnais sans peine notre pétillante Chantal d’hier, qui interrompt aussitôt un de ses mouvements lents pour me faire signe.
Puis enfin je démarre.
Encore un beau parcours. Pas mal de grimpettes en première partie pour de nouveau franchir quelques cols, et si les premières furent escarpées et rocailleuses, le reste se fera en pente douce et constante par des larges pistes carrossables.
Par contre, changement de décor et de météo ! Un vent soutenu, un ciel parfois couvert, et une végétation qui n’a rien à envier à nos Ardennes.
Nous avions le choix aujourd’hui entre la grande boucle (28km), ou l’alternative de 20km.
J’ai opté pour cette dernière. Les prochaines étapes étant classées rouges et difficiles, autant me préserver et soigner ma blessure.
Encore des vues à perte de vue, et des sentiers enchantés.
Lorsqu’en début d’après-midi j’arrive sur Lunas, je retrouve Anne et Pascal attablé au restaurant du château en compagnie de… Notre Chantal Nationale qui avait amené en voiture Anne, victime d’une récidive de fracture de fatigue.
Toujours pas de logement pour ce soir, je suis un mauvais élève qui réserve rarement et compte sur la Providence. Mais alors que j’allais m’enquérir du gîte d’étape, Pascal me propose de me joindre à eux dans leur gîte où bim reste une place. Et quel gîte, mes amis ! Avec piscine et repas inclus, y compris le déjeuner du lendemain matin ( parce que je suis belge… Patati, patata… Je vous renvoie au compte-rendu d’hier 😂😂)
Nous voilà comme coq en pâte dans une maison privée, tout un étage rien qu’à nous, accès piscine et transats, apéro en compagnie de Bernadette et Miguel, nos hôtes, puis repas servi tout prêt : salade tomates/oignons du jardin, suivi d’un délicieux spaghetti.
Via Tolosana, jour 13 :
Lunas – St-Gervais-sur-Mare
Départ au frais ce matin, le ciel est légèrement couvert, le vent s’est levé, et on annonce 4° de moins qu’hier.
Ça tombe bien : longue étape, classée rouge dans « Le petit Lepère », 28km dont 25 sans le moindre village et aucun ravitaillement en eau.
Et ça va grimper en plus ! Premier col, pas moins de 400m d’ascension, des passages à plus de 960m, un chemin qui va même s’apparenter parfois plus à de l’escalade qu’à de la rando ! D’énormes rochers, des empierrements, des escaliers de géants aux marchés démesurées.
Pour ensuite enchaîner avec une kyrielle de cols avec à chacun la découverte d’un nouveau décor, d’une nouvelle vue, d’une nouvelle végétation. Les pins succèdent aux sapins, qui eux-mêmes succèdent aux chênes, aux hêtres ou aux frênes. Et le vent souffle de plus belle au detour de chaque relief, les feuillages bruissent, les branches s’ébrouent et les troncs plient.
Un très beau parcours qui va finalement s’avérer plus facile qu’annoncé.
Quant au balisage, il va souffrir d’un énorme manquement à un embranchement, une explication en totale contradiction avec la réalité du terrain, à tel point que pour la première fois en 3 Chemins et plus de 4500km, je vais devoir faire appel à mon portable et à l’appli gps.
Tout est pourtant bien qui finit bien, je retombe sur mes pattes après moult hésitations, et parviens enfin dans le village de Mècle, avant d’arriver à ma destination finale : St-Gervais-sur-Mare, au charme désuet, peut-être moins mignon que Lunas hier, mais avec son esprit de France profonde que j’adore.
J’y retrouve mes amis Anne et Pascal au bar, pour une très agréable soirée.
Des anecdotes ? Que dalle aujourd’hui ! Je n’ai rencontré absolument personne pendant 25 bornes ! Ah si, un chevreuil, qui aura tôt fait de déguerpir avant que je puisse dégainer mon appareil photo.
Demain, passage à Murat-sur-Vèbre. Et soirée chez mon ami Michel. Tout un programme, parce que Michel, c’est un fou, dans le bon sens du terme ! Nous avons fait connaissance il y a 2 ans lors d’une semaine en tant que testeurs Quechua. Nous nous entendions comme larrons en foire. Et il m’avait dit à l’époque, avec son accent que j’adore : « Si un jour tu fais la voie d’Arles, elle passe devant chez moi : tu viendras dormir à la maison et on fera la fête ! »
Rendez-vous était pris il y a déjà un peu plus de deux ans… Et c’est demain !
Via Tolosana, jour 14 :
St-Gervais-sur-Mare – Peyroux-Murat
Si je ne vous ai pas donné de nouvelles hier, vous aurez deviné que c’est parce que ma soirée chez mon ami Michel et sa femme Céline s’est prolongée jusqu’à bien tard dans la nuit…
Petite rétrospective donc, sur la journée du 14, qui fut une longue et belle journée.
Un magnifique début d’étape dans une forêt de châtaigniers tourmentés, tellement biscornus que j’avais parfois l’idée de croiser Blanche-Neige fuyant l’effroyable sorcière.
On enchaîne ensuite avec l’ascension des derniers cols. Chiffre du jour : 1024m, point culminant du parcours avant d’arriver aux Pyrénées. Des pistes interminables, des longs lacets qui finissent par me lasser, et quand enfin on coupe une boucle, c’est pour une vertigineuse ascension. Mais au dessus, comme depuis des jours, des vues et encore des vues.
Lorsque j’arrive à Murat-sur-Vèbre, j’en profite pour passer au magasin pour mes ravito, mais aussi et surtout pour ne pas arriver les mains vides chez mon ami Michel.
Puis passage obligé par la mairie pour faire tamponner ma crédentiale. Je m’annonce haut et clair à l’employée, précisant toutefois qu’il ne me faut pas de logement ce soir car je suis attendu chez un ami. Elle relève la tête, sourire en coin, et yeux qui pétillent de malice : » Ah bon ! C’est donc vous qui dormez chez mon beau-frère. » Quel fut donc ma surprise d’être ainsi accueilli et reconnu.
Ceci fait, et puisque je ne loge pas au gîte communal, j’appelle Anne et Pascal pour leur remettre un chapeau trouvé sur le Chemin. Et pendant que nous échangions quelques propos sur le trajet du jour, Anne hèle une autre pèlerine qui marchait nonchalamment sur le trottoir d’en face. C’est ainsi qu’elle me présente Nathalie, pèlerine au caractère joviale et enjoué qui a la particularité de ne pouvoir s’empêcher de chanter quand elle entend de l’eau couler. Voilà donc bien un toc dont je n’avais jamais eu écho, et dont je m’empresse de faire remarquer que ça doit être spécial sous la douhe… Et encore plus quand elle se lave les dents !
Quant à elle, passée les présentations d’usage, elle me dévisage et s’écrie : » Mais… Mais… Je vous connais, vous ! Je lis vos histoires tous les jours sur Facebook ! » (Je vous renvoie ici au post scriptum 😂😂)
Et hop, deuxième coup de cirage de pompes en moins de 10 minutes 😂😂😂
Mais il me faut continuer. Encore 8 km, déjà 17h08, et Michel qui m’attend.
C’est quasi au pas de courses que je les bouclerais. Et impossible de rater sa maison : pour s’assurer que je m’y arrête, il avait disposé des bouteilles de bières sur les piliers de sa devanture !
Quel bonheur d’être accueilli ainsi par Michel, Céline, sa femme, et Marion, une de ses filles. Sans oublier le chien-chien sourd comme un pot et le chat à 3 pattes.
Je ne serai pas reçu comme un prince, mais comme un roi ! Grande chambre et grand lit à moi tout seul, serviette éponge, un luxe presqu’oublié sur le Chemin, savon qui sent si bon, et tellement l’impression d’être comme à la maison.
Au menu ? Un apéro digne de ce nom où bières coulent à flot, salade tomates/oignons délicieusement fraîche, et pour couronner le tout, un lapin à la broche cuit au bois de vigne, gratin de pâtes et cèpes. Un festin !
Mais cela n’est rien à côté de leur convivialité ! Nous resterons devant l’âtre jusqu’à une heure et demie du matin. C’est fourbu et repus que je regagnerais mes pénates.
Et pour l’anecdote, j’étais également content d’arriver chez lui pour me débarrasser d’un bon demi kilo de capsules de bière dont il est collectionneur et que je trimballais depuis la Belgique.
Quelle soirée ! J’en parlerai longtemps de ce lapin à la broche et de tout le reste. Merci !!!!
PS : je suis en train d’hésiter à modifier « Le récit épique d’un pèlerin qui pique » par « The Legend of the Way », sans vouloir bien entendu voler la place à Mahdi du Camino 😂😂😂
Via Tolosana, jour 15 :
Peyroux-Murat – La Salvetat-sur-Agout
Dur dur ce matin. Après m’être couché à 1h30, le réveil sonne le glas d’une nuit trop courte.
Michel a déjà préparé le café, le pain grillé, le saucisson et les confitures. Céline nous rejoint. Le ciel est plombé, il tombe même un petit crachin, comme pour mieux souligner l’amertume des aurevoirs.
On tente de prolonger l’ambiance d’hier. On parle, on rit, mais derrière ce rires, nous ne sommes pas dupes : je vais devoir partir. Le Chemin m’attend.
Mais comme j’ai du mal à décoller, Michel prépare un nouveau thermo de café. Mes amis Anne, Pascal, Nathalie la Cantatrice des salles d’eau, et Sabine, une pèlerine allemande, doivent obligatoirement passer devant chez lui, et nous les attendons donc de pieds fermes devant le feu ravivé sur les braises de la veille encore chaudes.
Il est 9h30 quand ils débarquent tous quasi en même temps. Un joyeuse bande se met en place, et pendant plus d’une heure, rire et mots s’échangent dans une joyeuse ambiance.
11h. Tout le monde est parti. Il me reste à dire aurevoir et un infini merci à Michel et Céline. Je reprends mon bâton, je me mets en route, un dernier signe de main, sans me retourner, pour ne pas qu’ils voient mes yeux s’embuer.
Très joli début de parcours aujourd’hui. On commence par faire le tour du lac, immense retenue d’eau bordée de forêts et de plages, puis on enchaîne avec des sentiers enchantés bordés de murs en pierres sèches recouvert d’une mousse tendre et généreuse, dans une forêt tout aussi enchantée.
La suite sera peut-être moins bucolique, par de petites routes de campagne, mais des kilomètres d’asphalte.
La Salvetat-sur-Agout est une charmante petite ville perchée au sommet d’une colline. Comme beaucoup de lieux en France, elle a gardé ce charme désuet, comme si le temps n’avait pas d’emprise sur ces villes un peu à l’écart. Avec des murs défraîchis, des volets qui grincent et ces anciennes publicités délavées qui ornent encore quelques coins de rues.
J’y retrouve Anne et Pascal, déjà bien installés. Nathalie et Sabine arriveront plus tard : elles s’étaient arrêtées en bord de lac pour dîner (ndlr : dîner, repas de midi pour un belge ! )
15 août obligé, un carrousel nous inonde de sa musique criarde et mal réglée. Quelques enfants tentent d’attraper la floche, mais les terrasses sont étonnamment déserte. Malgré quelques commerces, et une « discothèque » sur la.ppace du village, peu de monde vient ici.
Nous irons au soir assister à la procession au flambeau. L’occasion de suivre le cortège dans le lacet de ruelle. Nombre de maisons sont éclairées de bougie, ce qui ajoute encore à l’image d’une ville paisible.
C’est ainsi que je ressentis la Salvetat-sur-Agout.
Quant à la rencontre du jour, elle viendra d.un jeune breton : Gillian.
Parti de Baden-Baden quelques mois plus tôt, il offre un périple de 8 mois et 4300km.pour rejoindre Santiago. Il a rejoint la voie d’Arles hier, et sans vraiment suivre de logique, il se laisse un peu porter au gré de ses envies et des régions qu’il traverse. Il sait juste qu’il va rejoindre les Pyrénées pour ensuite les remonter jusque Hendaye pour emprunter le Norte. Mi-bohème, mi-bourgeois, avec son borsalino vissé sur la tête, sa barbe naissante, sa cigarette roulée et ses bandanas noués sur ses bâtons, je ferai les 6 derniers kilomètres en sa compagnie, avant qu’il poursuive sa route. Je ne le reverrai sans doute jamais… Mais sur le Chemin, il ne faut jamais dire jamais !
Via Tolosana, jour 16 :
La Salvetat-sur-Agout – Anglès
Le gîte s’anime tôt ce matin, et dans cette vieille bâtisse, fut-elle de pierre, le moindre bruit prend une toute autre ampleur. Du plancher qui craque aux portes qui claquent, tout ici résonne.
Tant et si bien que quand mon réveil sonne à 7h30, il prend l’allure d’un murmure.
Mais qu’à cela ne tienne, je ne suis pas plus pressé que les autres jours. Quand enfin je me lève, il ne reste que Nathalie et Sabine prêtes à partir.
Le temps d’un grand bol de café, d’un morceau de baguette et d’un reste de pâté et de saucisson laissés à mon attention par Anne et Pascal. Le temps de replier mon bardas, et me voilà sur la route vers 9h15.
Encore un petit parcours aujourd’hui, normalement facile, mais avec beaucoup d’asphalte.
Mais finalement, ça ne sera pas si mal. Certes nous n’aurons droit qu’à un tiers du parcours en forêt, mais le reste se fera essentiellement sur des pistes de gros cailloux ou l’asphalte défraîchie des vieilles routes de campagne.
Le trajet est également beaucoup moins vallonné. Depuis hier et encore plus aujourd’hui, c’en est définitivement fini de flirter avec les sommets.
Quant aux paysages, si ce n’est les moutons qui remplacent les vaches, je me croirais presque revenu en arrière sur les hauteurs de Saint-Hubert (ndlr : ville des Ardennes belges).
Pas de rencontre particulière aujourd’hui, pas d’évènement, d’animaux ou de lieux particulier. Une journée calme, à tracer gentiment ma route d’une seule traite.
Je retrouve Anne et Pascal attablé à la terrasse du seul bar de Anglès. Je serai talonné par Nathalie et Sabine, que j’avais surprises en train de casser la croûte à mi-parcours.
La seule rencontre viendra à ce moment en la personne d’une jeune randonneuse qui terminait ici 4 jours de marches à travers la région des lacs.
Nous irons ensuite à la mairie, puis au gîte, pour nous installer.
Popote communautaire ce soir. On va de concert faire quelques courses : apéro, jambon fumé/melon en entrée, et omelette aux légumes de saison comme plat, préparée d’une main de maître par Pascal. Un délice baveux comme je les aime (l’omelette, pas Pascal !)
Via Tolosana, jour 17 :
Anglès – Boissezon
Une étape courte et facile aujourd’hui, une vingtaine de kilomètres, sans dénivelé particulier, si ce n’est une sacrée descente ravinée juste avant d’arriver.
Sinon pour le reste, encore une étape très solitaire.
Je suis d’ailleurs surpris du peu de fréquentation sur cette voie. Les statistiques annoncent environ 700 personnes par an, dont une toute grande majorité répartie en mai, juin et septembre. Et donc du coup, des longues journées de solitude. Aucun promeneur, pas le moindre pèlerin, parfois quelques vélo ou un agriculteur. Mais sinon, seul, toujours seul !
Si ce n’est bien évidemment la bande que nous formons, Anne et Pascal, Sabine l’Allemande, Nathalie la soprano des cours d’eau, et moi. Nous nous retrouvons chaque soir au même gîte, pour partager notre journée, l’apéro et le repas, discuter, rire et blaguer.
Mais ce fut aujourd’hui notre dernière soirée. Demain, à Castres, Anne, Pascal et Sabine s’arrêtent pour cette année. Nathalie va dormir chez Olivier, un hospitalier que j’ai la chance de connaître. Elle va continuer un peu, probablement jusque Toulouse, au moins. Mais moi, demain, je ne fais pas halte à Castres. Budget et découpage d’étapes oblige, je dépasse la ville d’une dizaine de kilomètres pour réduire l’étape du lendemain.
Et donc aujourd’hui, comme je le précisais, c’est notre dernière soirée commune.
Le gîte municipale de Boissezon est exceptionnel d’espace et de qualité. Huit places, quatre chambres, trois salles de bain avec mitigeur et jet presque massant tant la pression est énorme, une vaste salle à manger, une cuisine bien équipée, une cour aménagée. Et cerise sur le gâteau, un service traiteur qui nous fournit le repas.
Sauf que tout cela a un coût, et vu que je dois quand même tenir 40 jours, pour réduire un peu la note, j’avais fait l’impasse sur ce repas au profit d’une popote maison (purée de pois cassés/carottes, lardons et pain).
Enfin, ça, c’est ce que je pensais. Parce que lorsque je suis arrivé à l’étape, ils avaient manigancé pour m’offrir ce repas.
Je ne savais plus quoi dire, ému et gêné par tant de générosité.
Je leur avais pourtant bien dit qu’il ne fallait pas s’en faire pour moi, que cela ne me dérangeait pas du tout. Mais l’arrangement était déjà pris entre eux, la.commande était passée, et je ne pouvais plus refuser.
Mais avant de découvrir le festin, nous sommes invités à découvrir l’église, expressément ouverte pour nous. Nathalie en profitera pour pousser la chansonnette, un Ave Maria qui en fera vibrer les murs.
Nous passons ensuite visiter le quartier des artistes, pour fire connaissance avec Michel, peintre au talent indéniable, mais à la personnalité surtout très attachante.
Toutes ces baladent donnant soif, on s’aventure en quête de bière chez le traiteur.
Chantal et Benoît vont nous réserver un accueil tellement chaleureux et sympathique que nous aurons du mal à en décoller.
Puis vient enfin le moment du repas : pantagruélique et délicieux. Nous l’avons partagé sur la terrasse, dans la.douce chaleur d’une soirée d’été, arrosé au choix de bière ou de vin. Tant et tellement copieux qu’il en reste pour demain !!!
Quel cadeau ! Merci, les amis !
Via Tolosana, jour 18 :
Boissezon – (Castres) – Viviers-lès-Montagnes
Une journée qui s’annonce riche en émotions aujourd’hui.
Lorsque je quitte le gîte 5 étoiles de Boissezon, c’est pour une toute petite étape de 16km. Rendez-vous est pris avec mes amis à 12h30 sur le parvis de la cathédrale de Castres. Et comme je suis encore une fois le dernier à partir, j’ai tendance à accélérer le pas pour arriver à temps.
Puisque hier nous avions terminé par une descente vertigineuse, il était de bonne guerre que ce matin commence par un raidillon assez costaud. Mais qu’à cela ne tienne, je pense que le chouquettes offertes hier par Chantal devaient être shootées à je ne sais quelle drogue : je pète la forme !
Un beau parcours à sillonner de belles forêts et des sentiers ensoleillés, parfois un peu trop à mon goût, avec de magnifiques vues sur la plaine qui s’étend devant moi.
Bon, ne nous leurrons pas, comme toute entrée et sortie de ville, on va se payer aujourd’hui des kilomètres d’asphalte et de banlieues. Mais je fais partie de ceux qui pensent que c’est ça aussi, le Chemin, et pour rien au monde je ne voudrai zapper ces tronçons un peu moins folichons, qui permettent justement de mieux apprécier tout le reste.
Je suis contacté à l’entrée de Castres par Olivier, mon ami qui y tient un gîte chambres d’hôte et accueil pèlerin (coordonnées sur simple demande 😂😂). Je le retrouve déjà attablé avec Anne et Pascale, Nathalie, et deux jeunes françaises toutes petites et fluettes, Mathilde et Sybille, avec qui Anne et Pascal avaient marchés quelques jours avant de me rencontrer. Sabine quant à elle est déjà partie prendre son train qui va la ramener en Allemagne.
Tous installés à un bar à thé et smoothie qui ne sert pas de bière ! Quelle déception 😂😂. J’opte par dépit pour un thé glacé à la menthe, ma foi délicieux et rafraîchissant !
Nous discutons bon train, l’ambiance est bon enfant, mais il me faut penser à les quitter si je veux encore un peu avancer.
Visite en groupe de la cathédrale, concert privé de notre chanteuse de bénitier qui entame un requiem de circonstance. Mais sur le parvis, il faut bien se faire nos adieux. Encore quelques pas ensemble, une dernière accolade à chacun, puis je monte l’escalier qui m’éloigne inexorablement d’eux. Comme chez mon ami Michel, sans me retourner pour qu’ils ne voient mes yeux s’embuer. C’est sûr, ils vont me manquer !
Onze kilomètres me séparent encore de Viviers-lès-Montagnes. Trois heures à me tâter. Je pensais bivouaquer aujourd’hui, mais Olivier m’en a dissuadé : le temps est à l’orage et certains départements sont même en alerte orange. Du coup, de la pluie, oui, mais un orage, par ces chaleurs, ça peut faire des dégâts.
Sur le coup de 16h, la chaleur devient subitement étouffante, au même moment que le vent se met à souffler en rafale. Je consulte mon guide et me décide en dernier recours pour un accueil à la ferme.
Un choix que je ne regreterais pas : une petite maison toute mignonne et toute équipée rien que pour moi, avec télé, douche, serviette et draps. Et alors que j’explique à Jackie, mon hospitalière du jour, que je ne prends pas la demi-pension pour une raison d’économie, elle revient avec 6 œufs, un oignon, du beurre et deux bières. Le tout offert par la maison !
C’est que du bonheur et je vais dormir comme un bébé…Même si les amis me manquent et que demain matin au déjeuner, je me sentirai bien seul !
Via Tolosana, jour 19 :
Viviers-lès-Montagnes – Revel
Je me sens bien seul ce matin. La maison ne s’agite pas des bruits habituels de mes amis, l’odeur de café chaud ne vient me titiller jusque dans mon lit, et personne avec qui parler avant mon départ.
J’ai quitté Jackie ce matin, non sans oublier de la remercier pour son accueil, sa générosité et la qualité de son gîte. Figurez-vous que j’y ai passé la soirée dans le canapé à regarder « Le viager », avec Galabru et Serrault (entre autre) !
Quant à la journée…
Que voulez-vous que je vous raconte sur une étape de 28km, dont 80% d’asphalte ?
Que vous dire sur une journée sans la moindre rencontre, si ce n’est un chien qui prenait son café du matin (authentique, regardez les photo !) ?
Loooongue étape donc, aujourd’hui, d’autant plus longue qu’elle va aligner des kilomètres de routes, et que les races sentiers ne s’en eloigneront que de quelques centaines de mètres.
Mes seules âmes seront des chiens (dont un qui prenait son café), des chevaux, des ânes et quelques poules.
Des êtres ? La propriétaire du chien au café, qui m’a parlé de la coupure d’électricité de la semaine passée. Une femme à barbe (une vraie, mais pas osé la prendre en photo), qui m’a souhaité un bon Chemin. L’employé de l’Office de tourisme de Revel. Et puis Nelly et Christian, les hospitaliers du gîte municipal et associatif.
Je vais d’ailleurs passer une très agréable soirée en leur compagnie, à échanger nos anecdotes de nos différents Chemins.
Repas partagé : salade froide pommes de terre/haricots verts en entrée, et mes spaghetti aux sardines en plat.
Demain est un autre jour : Christian m’a assuré d’une très belle étape en bord de rivière, longue mais parfaitement plate.
Vivement demain, alors !!!
Via Tolosana, jour 20 :
Revel – Montferrand
Quelle soupe !!!
Lorsque vers 4h du matin, dans un demi sommeil, j’ai entendu la pluie tomber, je me suis dit : » Pourvu que ça cesse ! »
Mais ce matin, à 7h, le ciel était tellement plombé que même la lumière du soleil avait du mal à percer !
Toutes les vannes du ciel étaient ouvertes, un déluge !
J’attends en vain une éclaircie qui ne viendra point, avant d’enfin me décider à partir.
9h du matin. Poncho de rigueur. 38km m’attendent, probablement la plus longue étape de ce Chemin, parce que je le veux bien : je regroupe ici deux petites étapes de 17 et 21km, faisant ainsi en sus l’économie d’un logement. Ce qui, entre parenthèses, constituera également la seconde étape la plus longue de toute ma vie de pèlerin (jusqu’à présent !)
Trajet cependant facile, puisque du point A au point B, pas le moindre dénivelé (aussi plat que la poitrine de Jane Birkin 😂😂) : je longe en permanence la Rigole, petit ruisseau qui finit parfois au gré du temps et de ses affluents par se transformer en un veritable torrent.
Une étape facile, mais ô combien ennuyeuse. Certes, c’est beau, c’est vert, c’est plat. Le clapotis de l’eau compense le chant des oiseaux qui se taisent sous la pluie. Mais qu’est-ce que c’est monotone ! De méandres en méandres, chaque perspective ressemble à la précédente. Seuls quelques ponts ou une maison éclusière viennent un peu agrémenter la journée.
Pour le reste, pluie, pluie, pluie. Impossible de tomber le poncho, même si à la longue, on est presque plus mouillé dedans qu’en dehors. Le ciel ne commencera à se dégager timidement que vers 14h.
Ah ! J’allais oublier : des rencontres aujourd’hui, et pas qu’un peu. Au bas mot, 60, voir 80 personnes. Waoooow, allez-vous me dire, ça change des autres jours, malgré la pluie et le fait qu’on soit un mardi.
Détrompez-vous : juste un détachement militaire arnaché et armé, divisé en 4 pelotons qui se suivent à 30 minutes d’intervalle. Au premier, je fus surpris et sidéré. Au quatrième, je vais me mettre à siffler : j’ai retrouvé la 7ème compagnie ! 😂😂😂
Pas sûr qu’ils aient compris, et à voir leurs têtes, pour plupart des étrangers (type asiatique ou africain pour la plupart, certains parlaient à peine français), je pense qu’il s’agissait d’hommes de la légion étrangère. Pour avoir discuté avec un de leur chef au fort accent d’un pays de l’est, il s’agit pourtant bien de l’armée française en exercice : entraînement dans la zone, marche forcée de 20km. Pffff, petits joueurs !!!! 😂😂😂
Sinon, blague à part et mis à part eux, personne, mais il fallait s’y attendre. Juste une famille en vacances à vélo.
C’est long, 38km sous la pluie sans aucune variation de paysage…
Accueil au village de Montferrand aujourd’hui, dans une superbe demeure destinée normalement à recevoir des groupes en retraite. Seul au commande, mais repas partagé avec les deux accueillants.
Par contre, demain, organisation militaire (ben voyons, ça va me rapprocher de ceux que j’ai vu cette après-midi) : déjeuner servi jusque 7h30 au plus tard, et je dois avoir quitté les lieux pour 7h45 !!! Moi qui me lève habituellement à 7h30 et démarre rarement avant 8h30, voir 9h, ça va me changer…
PS : en regard de l’étape du jour, mes pieds ne me disent pas merci. Mais bon, demain est un autre jour, ça va aller… Hein, les gars, demain ? En forme, hein ? 😂😂
Via Tolosana, jour 21 :
Montferrand – Baziège
Départ sur les chapeaux de roue ce matin, malgré l’excès d’hier.
Il faut dire qu’après un excellent repas (tortilla, pâtes aux légumes, fromage, salade verte, vin et fruits), après une douche et une vraie serviette éponge, suivi d’une nuit dans un vrai lit douillet, avec draps, couette et coussin moelleux (je n’avais jamais eu si agréable oreiller), qui plus est seul dans le dortoir, tous les atouts étaient réunis pour bien récupérer.
Ce matin, sur les recommandations de René-Claude, je ne quitte pas Montferrand en suivant le GR. Suite aux intempéries d’hier, la vertigineuse descente est plus que probablement impraticable, glissante et plaquante.
C’est donc par la route que je rejoints le canal du Midi.
Parce que oui, j’avais aussi le choix de passer par les terres ou de suivre le canal. Et selon les dires d’Olivier, Christian, Pascal et bien d’autres, après avoir moi-même consulté la carto, cela s’avère beaucoup plus court et agréable par le canal. On passe quand même de 34 à 25km, sans le moindre dénivelé.
Mais bon, ça, c’est la théorie. En pratique, je dois avoir raté un embranchement pour rejoindre le canal, et j’en ai été quitte pour au bas mot 2 km en plus.
Ensuite, c’est vrai que le début est très agréable. En comparaison, si hier, le long de la Rigole, le trajet me parut sans fin, celui d’aujourd’hui est un enchantement… Un véritable concert de gazouillis entouré d’arbres majestueux.
Au début…
Parce qu’après, cela ne sera quasiment que halage en béton, coincé entre le canal et l’autoroute « des Deux Mers » (c’est paraît-il son nom).
Certes, on reste près de l’eau, mais même si on reste au « bord d’elle » (😂😂), on était parfois si proche de la circulation que j’entendais plus les oiseaux tousser que chanter.
Mais bon, restons zen : le trajet fut tout de même de toute beauté, avec ses vieilles écluses, ses bateaux, ses promeneurs, ses pêcheurs et ses vélos. Par contre, sur les 150 ou 200 personnes croisées aujourd’hui, un bon tiers m’a complètement ignoré, sans même répondre à mon bonjour ! Je dois être dans la région de France la moins sympathique du monde !
Et comme pour ajouter à mon malheur, ces 20km de béton auront fini de raviver les ampoules apparues hier. Résultat en cours de journée : une fin d’étape extrêmement pénible où il me faudra près de 2h pour boucler les 6 derniers kilomètres.
Et à l’arrivée, au pied gauche uniquement, une ampoule qui s’est réformée sous la plante, et deux ampoules profondes (peau épaisse) aux angles du talon.
Bref, ce soir, je n’en mène pas large, et je croise les doigts que demain je puisse arriver sans encombre à Toulouse.
Quant à ce soir, camping de Baziège, où la tenancière propose des tentes aux gens de passage (pèlerins, randonneurs, cyclotouristes, etc.). Seule condition : elle ne fournit que la tente. Il faut donc être équipé pour bivouaquer (matelas, duvet, etc.)
Le plus comique, c’est qu’elle m’a donné la même tente avec laquelle j’avais réalisé mon premier Chemin de Liège à Fistera : une Ferrino Lightent One.
Je l’ai donc montée en 3 minutes chrono, sous ses yeux ébahis, et j’ai presque l’impression d’être chez moi tant j’en connais les recoins.
Le nuit s’annonce un peu fraîche… On va sortir les 3 couches, ça devrait suffire !
Via Tolosana, jour 22 :
Baziège – Toulouse
Dure nuit au camping de Baziège. D’abord parce que, soyons clair, dormir dans une tente tunnel sur un matelas de sol, c’est pas forcément ce qu’il y a de plus pratique et confortable. Ensuite parce que le camping n’est pas loin de l’autoroute et dans la ligne de descente de l’aéroport de Toulouse. Donc niveau bruit, c’est balaise, à tel point que j’ai même fini par sortir les boules quiès.
Réveil à la fraiche, avec une rosée tenace. Je rempile tout dans mon sac, je protège ces foutues ampoules qui me pourrissent à nouveau la marche, petite discussion bien sympathique avec un résident du camping, puis départ à 9h30 passée.
Même type de trajet qu’hier : j’aligne des kilomètres de halage bétonné, j’ai parfois la possibilité de rejoindre un sentier le long de la berge, les écluses se suivent et se ressemblent, et il règne sur ce canal un calme olympien. J’en avais une image plus animée, avec ses bateaux sans permis, ses vacanciers et les images d’Épinal du bateau qui s’amarre avec l’éclusier qui s’agite dans un ballet bien ordonné. Je ne dois pas être à la bonne saison ou sur le bon tronçon : tout ici est automatisé, pour les 3 pelés bateaux que je croise.
Par contre, si je pensais avoir vu du monde hier, ce n’était rien en comparaison d’aujourd’hui. Des cyclistes et des joggeurs par centaines. Pas tous super sympathiques, mais tout de même un peu plus que la veille.
Par contre, beaucoup aujourd’hui m’ont souhaité un bon Chemin, et certains se sont même arrêtés pour discuter. C’est la première fois aujourd’hui que cela m’a réellement marqué.
Jusqu’à ce que l’un d’eux s’arrête à ma hauteur.
« Ça va, la Belgique ? », me lance-t-il.
Je tombe des nues. Comment diable peut-il savoir que je suis belge ????
Il lève aussitôt le voile de mystère : Stéphane parcourt tous les jours à vélo les 26km qui le séparent de Toulouse pour se rendre au boulot. Et aujourd’hui, il savait qu’il allait me croiser, car il me suit tous les jours sur Facebook !!!
Quelle surprise. Et l’occasion de discuter un bon moment avec lui tout en avançant.
Le reste du parcours deviendra vite pénible. Les ampoules se rappellent à moi à chaque pas, et il me faudra plus de 6h pour boucler les 20 bornes.
Mais ce soir, je suis attendu. Et j’ai vraiment hâte de découvrir Marie et sa famille.
C’est une amie de Pascal et Lionel, chez qui j’avais eu la chance d’être accueilli lors de mon deuxième jour de marche. Ils m’avaient recommandé auprès d’elle, et elle a généreusement accepté de me recevoir.
Je ne suis pas encore réellement à Toulouse. Il me reste 4km pour y parvenir, ça sera pour demain matin.
Quant à ce soir, quel bonheur d’être ainsi accueilli par Maëlle, sa fille, de faire la connaissance de Philippe, son mari, et de rencontrer enfin Marie, avec qui j’échange des messages depuis plusieurs jours pour coordonner mon arrivée.
Je suis installé dans un coin du jardin, dans une petite maison qui me fait un peu penser à la cabane de Robinson Crusoé. C’est tout mignon, tout cosy. Et j’y suis si bien…
Au menu du jour, crêpes bretonnes en plat et crêpes sucrées en dessert. Avec bien entendu du cidre ! Un régal !
A défaut de soigner les pieds, cela met du baume au cœur. Demain est un autre jour, et chaque jour est une surprise sur le Chemin.
Via Tolosana, jour 23 :
Toulouse – Léguevin
Ou comment une journée qui devait être facile est vite devenue pénible…
Super bien dormi dans ma cabane au fond du jardin. Si ce ne sont les moustiques tigres (des vraies, avec des dents de sabre) qui se sont acharnés sur mes pieds (et uniquement mes pieds, va comprendre…)
Réveil en douceur, bouclage du sac, soins des ampoules, déjeuner crêpes avec Philippe et Marie, il est 8h37 quand je prends congé d’eux non sans les remercier chaleureusement pour le merveilleux accueil qu’ils m’ont offert.
L’étape du jour devait faire 23km. C’était sans compter les 4km qui me séparent encore du centre de Toulouse, auxquelles il faut aussi ajouter la paire d’heures à arpenter les rues de cette magnifique ville rose. Bref, au bas mot, 28, voir 30 bornes au compteur.
Aux douleurs, que je gère tant bien que mal, je dois aussi de nouveau compter sur une chaleur de gueux et un soleil de plomb qui ont fait leur réapparition.
Cerise sur le gâteau, un trajet totalement urbain, que de l’asphalte, sans un pet d’ombre.
Et pour couronner le tout, je ne savais qu’il y avait un supermarché presqu’à côté du gîte. Résultats : j’ai trimballé pendant vingt bornes mes ravito du soir (spaghetti, bocal de bolo, fromage et deux canettes de 50cl de bière. Je suis belge, c’est pas de l’alcoolisme, c’est médical ! 😂😂)
Tout cela explique comment une petite étape facile devient un enfer.
Je suis arrivé à 17h tapante au gîte de Léguevin, avec des pieds en compote. J’en arrive même à me demander si l’amorti de mes chaussures n’est pas arrivé à saturation tant j’ai l’impression, après une quinzaine de bornes, de marcher avec des sandales japonaises en bambou.
Quant à la journée en elle-même, elle fut parsemée de quelques rencontres, d’un Buen Camino au passage d’une terrasse de bar, ou même d’une voiture, toutes fenêtres ouvertes, d’où le conducteur s’est écrié « Bon Chemin, amigo ». Ou encore un jeune toulousain qui a traversé la rue expressément pour m’apostropher et me raconter ses 3 mois d’errances sur le Francés l’année passée…
A côté de cela, la gérante du Leader Price, à qui je demande pour remplir ma gourde et alors que j’y avais fait mes courses du soir, qui rechigne un peu et revient avec ma bouteille remplie d’eau tiède. Sympa…
Je retrouve ce soir Manuel, le portugais que j’avais croisé à Montpellier, ainsi qu’un italien dont le prénom m’échappe (appelons-le Luigi). Il parle super bien français, mais avec un accent si prononcé que j’ai l’impression de me retrouver dans un gîte de montagne avec les Bronzés (J’hésite même à dire : » Bonsoir, je vais me coucher… » 😂😂)
Je passe ma soirée à les écouter converser en français, chacun avec son accent : « Mââ siii, toû connaît ! », « Aaaahh si si si, je conneshhh bien ! » 😂😂😂
Grosse étape demain, 32 bornes. Le réveil est décalé d’une heure, je vais essayer de m’y tenir et de partir plus tôt.
Allez hop, au dodo…
Via Tolosana, jour 24 :
Léguevin – Gimont
Récit d’une loooongue journée sans fin !
Tout avait bien démarré ce matin. Enfin, si on veut. Alors que mon réveil est le premier à sonner, Manuel le portugais émerge à peine et Gianpiero (puisque entre-temps, depuis hier, j’ai appris son vrai prénom) ronfle comme une barrique vide !
Personne ne bouge, et le croirez-vous ou non, c’est finalement moi qui décide à me lever le premier à 7h15 pour faire le café.
Les deux autres me rejoignent, mais on sent bien qu’il flotte dans l’air comme la sensation d’une nuit inachevée. On déjeune sans presqu’aucun mot, on se croise dans le couloir en feignant de s’ignorer. Pas une mauvaise ambiance, juste une atmosphère de mecs qu’il ne faut pas emmerder le matin 😂😂
Sur le départ à 8h15, on quitte le gîte ensemble. Gianpiero s’en va sur son vélo, on ne le verra plus puisqu’il file à plus de 100km par jour. Manuel et moi, chacun sur sa route… Je ne le reverrai plus non plus avant la fin du jour, mais on y reviendra.
Étape plutôt costaude : 32km, pour rejoindre d’abord L’Isle-Jourdain, puis ensuite Giscaro.
Un beau trajet qui va renouer avec une belle forêt, des sentiers variés, et un bon équilibre de routes. Même si j’ai raté une balise, et que j’ai fait un peu plus de routes que prévu, mais ça va…
Pas de rencontre, aucune discussion, un trajet solitaire.
C’est jour de marché L’Isle-Jourdain. La ville est animée, les bonimenteurs arrangent les chalands, le marchand de fruits crient ses promo du jour. Les pêches se vendent à la caisse. Moi, j’en prendrai juste 4, que je mangerai directement. Un peu plus loin, ça sent bon le poulet rôti.
L’Isle-Jourdain est une chouette ville, qu’on devine très animée même en dehors du jour de marché.
Déjà 17km parcouru, il est à peine midi, je prends le temps de flâner. Il ne m’en reste qu’une quinzaine, tranquille.
Sauf qu’une heure après, je prends quand même la peine de téléphoner au gîte de Giscaro pour prévenir de mon arrivée et m’enquérir des possibilités de cuisiner. Et c’est là que tout a basculé !
Giscaro ne reçoit pas aujourd’hui. L’entièreté du gîte est loué pour un anniversaire. Ouch !
Ce qui veut dire que je n’ai d’autre choix que de revenir sur mes pas, une aberration pour un pèlerin, ou de pousser jusqu’au gîte suivant, c’est-à-dire jusqu’à Gimont : +8km
Faites le compte, ajouter 35°c, et vous devinerez l’état dans lequel je suis arrivé.
Heureusement qu’Yveline, notre super sympathique hospitalière du jour, est dotée d’un humour comme je les aime, qu’elle a de l’énergie à revendre, et qui plus est, est enchantée de me voir car elle suit mes aventures sur Facebook ! 😂😂😊
Soirée en compagnie de Walter, un zurichois de 75 ans qui parle anglais comme un suisse allemand (et moi comme un wallon de Liége !). J’ai parfois du mal à le comprendre, et inversement. Mais Yvelines qui ne pipe mot d’anglais est soulagée que je prenne la relève dans les conversations.
Il est en à son septième Chemin, et redoute que ça soit le dernier.
On finira sur le devant de la porte avec les voisins, à refaire le monde jusque 22h30, sous une température enfin supportable.
Quant à Manuel ? Aucune nouvelle… Il n’est pas à Giscaro, il est encore moins avec moi à Gimont. Il ne reste donc que deux possibilités : soit il est resté à L’Isle-Jourdain, soit il a basculé dans une faille spatio-temporelle !
Sur ce demain, j’aspire à une étape plus raisonnable…
Bonne nuit, les amis 😴😴😴
Via Tolosana, jour 25 :
Gimont – Auch
Le trajet s’annonce plutôt tranquille aujourd’hui : 22 km, sur un parcours qui alterne dans un parfait équilibre, sentiers et routes asphaltées. Le ciel voilé, sans avoir fait baisser la température, aura au moins le mérite de me cacher du soleil.
Le départ se fait dans la bonne humeur, après avoir fait connaissance avec Dominique, l’hospitalier en chef revenu cette nuit de vacances, et Yveline, toujours aussi espiègle et dynamique qu’hier !
Il est déjà 9h, mais loin de m’inquiéter, j’attends les quelques premiers pas pour que tout refonctionne et que les ampoules trouvent leur place. Ça roule, ma poule (tiens, voilà que je remarque que ma poule, c’est l’anagramme d’ampoule 😂😂).
Moi qui aspirais à une petite journée, je serai vite désenchanté. Alors que je téléphone au gîte pour prévenir de mon arrivée en fin d’après-midi, voilà qu’il m’annonce qu’il est fermé, cette fois pour travaux !
Non, mais merde, quoi ! Le sort s’acharne ou quoi ? J’ai les pieds en compote, des ampoules que ne demandent qu’à péter; hier, loué pour un annif, et aujourd’hui, fermé pour travaux ? Ils ne savent pas faire ça en janvier ???
Gimont – Auch, 32 bornes. Vingt-neuf si je coupe par la route sans suivre le GR. Et je dois arriver avant 17h si je ne veux pas trouver porte close !
Allez, hop, au pas de course, Lulu ! Marre de ces journées à rallonge qui m’empêchent de profiter, où je ne prends même pas le temps de manger ou de me reposer, et dont j’arrive complètement explosé !
Bon, en compensation, un joli trajet, mais un soleil qui sortira dès 11h et qui tapera encore plus que la veille. Même Yveline, hier, s’en plaignait, alors qu’elle doit avoir plus habitude que moi !
Mais tanpis, je dois tracer. Je rattrape Walter, parti 1h avant moi. Je me ferai par contre dépasser par un couple venu expressément de Paris pour marcher 3 jours… Et c’est leur dernier jour aujourd’hui. Peu de chance que je les revoie donc, d’autant qu’ils logent exclusivement en hôtel !
Après ces rencontres, ça sera seul que j’arpenterai les 20 derniers kilomètres.
Je passe pas Montegut, magnifique village perché sur une colline, puis direction Auch en évitant le long détour du GR. Je gagne 3km, ce qui ne m’empêchera pas d’arriver délirant de chaleur dans le centre de Auch.
Les hospitalières me prennent en sympathie, m’offrent un verre de sirop de menthe, se proposent de porter mon sac pour monter les deux étages qui nous mènent aux appartements réservés aux pèlerins.
Je suis tellement emprunt de fatigue et de douleur que je fond en larmes devant elles.
Ça n’est qu’à posterioiri que je me rappelle l’une d’elle, toute pimpante de blanc vêtue, maquillée et bien apprêtée, qui pour me consoler, s’est levée pour poser ses mains sur mes épaules. Mains qu’elle retira aussitôt de mon t-shirt dégoulinant de sueur… Chrétienne, mais pas trop, ou alors, après la douche ! 😂😂😂
Mais bon, ça, c’était pour l’anecdote risible, car en vrai, elles ont été adorables.
Concert d’orgue ce soir à la cathédrale. Je resterai assis 1h, avec interdiction formelle de circuler dans l’édifice. Je prends mon mal en patience, même si je dois avouer que le concert est magnifique.
Quant à mes compagnons du jour, une vieille allemande ronchonne, et un jeune, teuton également, mais que je verrai à peine de toute la soirée.
C’est donc seul que je m’enfile la boîte de cassoulet de 800gr achetée hier en prévision d’aujourd’hui dimanche, et que j’ai trimballée toute la journée sur le dos !
Je dors dans la même pièce que le jeune allemand. Il est 22h15, il est sur la terrasse en train de téléphoner… Sûr que ce soir, ça va gazer ! Une autre forme de concert, quoi ! 😂😂💨💨
Je lui souhaite une « gute nacht ».. ou pas ?
Via Tolosana, jour 26 :
Auch – Barran
Si vous me cherchez sur une carte, vous constaterez que l’étape du jour ne fait qu’une quinzaine de kilomètres. Dix-sept pour être précis.
Cela me change enfin des 3 derniers jours. Mais en même temps, je n’aurai pas su faire autrement.
Petite rétrospective sur la nuit. Entre une allemande ronchonne, qui se met au lit à 20h et soupire au moindre bruit, et le jeune teuton, apparemment à l’arrêt à Auch pour quelques jours, qui rentre à 22h et reste sur le balcon pour discuter au téléphone jusque 1h du matin. Avec en sus un lit en tôles qui grince et un matelas minimaliste qui va me casser le dos, je n’ai pas super bien dormi.
En plus, est-ce que la vieille allemande ne met pas son réveil à 5h, pour partir à 6h45 et faire un boucan de tous les diables, tout autant pour replier son sac que pour partir en claquant les portes ???
Enfin soit, je ne suis pas pressé aujourd’hui. Sur la proposition de l’hospitalière, j’envisage en effet sérieusement un jour de repos. Parce que je ne vous l’ai pas dit depuis quelques jours pour ne pas vous alarmer, mais mon petit doigt de pied gauche n’est qu’une plaie à vif ! C’est une des raisons pour lesquelles j’ai craqué hier en arrivant. Trois jours intensifs, avec un doigt de pied en marteau, 3 ampoules successives l’une sur l’autre, des peaux blanches qui sentent la charogne… Je vous épargne les détails.
Hier soir, j’ai passé une heure à nettoyer et panser la plaie. Et donc ce matin, direction le D4 d’Auch pour discuter chaussures, puis la pharmacie pour voir si elle peut me soulager.
Ah tiens, pour la petite histoire, j’ai fait du stop pour aller au D4. La cinquième voiture fut la bonne, un brave pensionné qui m’a déposé juste devant la porte. Et pour revenir, alors que je cherchais l’arrêt de bus, voilà ti pas que je retombe sur le même pensionné sortant du Leclerc avec ses courses. Il m’a à nouveau chargé et déposé devant la pharmacie.
Au final, je ressors du D4 avec une nouvelle carrosserie (comprennez des chaussures) plus large et plus respirante. Pas convaincu pour autant, mais bon, on va essayer. J’en ai également profité pour échanger un t-shirt décoloré par le soleil et un boxer dont l’élastique s’effilochait.
De la pharmacie, pas de miracle. Elle ne peut rien de plus que ma bienfaitrice de Montpellier et mon ange de Lodève. Mais elle me conseille quand même, plutôt qu’un pansement, de mettre un manchon en silicone.
Retour au gîte à 11h. L’allemand a disparu (lorsque j’étais parti à 9h, il dormait toujours…). Je fais mes soins… Puis rien à faire, quand la volonté est là, les pieds trépignent. Je consulte le topoguide, je regarde comment couper l’étape, et je téléphone à Barran pour m’assurer d’une place. Bingo !
Sauf que le trajet n’était pas encore gagné. Je quitte Auch aux heures les plus chaudes et je n’aurai que des côtes et du dénivelés. Clopin-clopant, il me faudra près de 5h30 pour boucler les 17km !
Aussi, quand le moral n’y est pas, on n’est pas non plus réceptif à la beauté des paysages. Peu de photo aujourd’hui, une seule obsession : parvenir au terme de cette petite étape et prier pour que demain, ça aille mieux…
Je suis donc finalement « bien » arrivé Barran, super joli petit village médiéval, très belle église au clocher tors qui ressemble au choixpeau d’Harry Potter. Et un accueil très agréable de Jean-Claude, qui aura même l’attention de m’apporter 3 bières (bon, je lui avais dit par téléphone que ça me ferait plaisir, mais en les payant bien entendu… Il n’a jamais voulu !)
Un gîte tout ce qu’il y a de plus spartiate, mais un gîte comme je les aime : dans une vieille bâtisse, au plus simple, propre, douche, WC, quatre lits, cuisine avec tout l’équipement nécessaire. On sent ici l’âme des bénévoles sans qui le Chemin perdrait de son âme.
Quant aux chaussures, elles ont finalement fait le job. Je les adopte. Demain, il me faudra trouver un bureau de poste pour renvoyer les Meindl en Belgique.
Et pour reparler un peu de ce foutu petit doigt de pied, il m’aura fait souffrir toute la journée… Sauf bizarrement sur les deux derniers kilomètres. J’avais presque même l’impression de marcher avec un coussinet.
Il paraît qu’on ressent ça 2h avant de mourir. Dois-je m’inquiéter, docteur ?
Sur ce, à demain… Peut-être ! 👻☠👻
Via Tolosana, jour 27 :
Barran – Saint-Christaud
Les éléments se sont déchaînés cette nuit ! Il était 2h30 du matin quand un orage dantesque m’a réveillé… C’était prévu, et la moiteur de la veille ne laissait d’ailleurs aucun doute. Mais je fus quand même surpris par le nombre et l’intensité des éclairs. Et encore, l’orage n’était pas directement sur nous…
Et donc ce matin, le ciel est voilé et les températures beaucoup plus supportables.
Seul au gîte, je prends mes aises. Pas de café, je me rabats sur un sachet de thé, reste de pain brioché acheté il y a 3 jours, confiture dénichée au fond du frigo. Ça suffira pour cette petite étape.
Un super beau trajet en plus. Quelques côtes et de beaux raidillons, mais une succession de magnifiques sentiers, tantôt dans les bois, tantôt en bordure de champs. Il a plu une partie de la matinée, mais juste un petit crachin, pas de quoi sortir la grosse artillerie !
Une seule rencontre aujourd’hui, celle d’un vieux briscard du Chemin qui revient de Santiago et qui se donne 3 ans pour faire Rome – Santiago – Jérusalem.
Quant à mes pieds… Je vous rassure, ça va ! Bizarrement d’ailleurs. Lorsque je prends le Chemin, j’ai vraiment du mal pendant environ une demie heure. Après, cette même sensation qu’hier, celle de marcher avec un coussinet à la place du petit doigt de pied gauche. Donc, c’est gérable. Je reprends un vitesse de croisière acceptable, et je parviens au terme de l’étape sans trop de difficulté. La plaie est saine, hypersensible, mais saine. Pourvu que ça dure…
Je loge chez Johanna ce soir. Sympathique suisse allemande ultra-nature, bio, peace and love et tout ce qu’on veut, qui tient un gîte à son image.
On est loin d’un jardin à la francaise ou d’un cottage anglais. On sent d’ailleurs bien qu’ici, la nature et les animaux font la loi.
J’y retrouve malheureusement ma ronchonne allemande, qui n’a toujours pas gagné en sympathie, et Walter, mon brave zurichois de 75 ans croisé il y a 3 jours à Gimont. J’étais halluciné de le retrouver ici ce soir, alors qu’il dit ne faire que des petites étapes de 20/22km. Il finira par m’avouer qu’il en zappe parfois en demandant aux hospitaliers de le conduire en voiture à l’étape suivante.
Sacré Walter. A ce rythme, il sera à Santiago avant que j’arrive à Puente la Reina !!!
Je suis actuellement dans mon lit, avec Walter qui ronfle à moins d’un mètre de moi. J’ai vue sur la fenêtre restée grande ouverte et le ciel s’éclaire par moment à l’horizon…
Via Tolosana, jour 28 :
Saint-Christaud – Auriebat
J’ai finalement appris hier que mon allemande ronchonne était en réalité autrichienne… Et j’ai aussi appris ce matin qu’elle n’était pas non plus « du matin ». Ambiance un peu froide donc, au déjeuner. D’autant qu’elle finit de se préparer sans dire un mot, et s’en va simplement en s’adressant uniquement à Walter en allemand. Je dois avoir un truc qui ne lui plait pas… 😂😂
Après une ultime conversation avec notre hospitalière bohème occupée à cueillir ses tomates pieds nus dans la rosée du matin, nous partons ensemble, Walter et moi. Mais comme chaque matin depuis quelques jours, il me faudra ma bonne heure de dérouillage et de mise en place de ce foutu petit doigt de pied gauche. Il part donc loin devant et je le laisse filer sans aucune amertume, préférant de loin me retrouver seul.
Départ feutré nimbé de brume. Car brume il y a. Le ciel est plus que chargé, et même si aucune goutte n’est tombée pendant la nuit, on sent bien humidité ambiante.
Un trajet dans la continuité d’hier, par des sentiers variés, qu’aucune rencontre ne viendra troubler.
Il me faudra une dizaine de kilomètres pour retrouver Walter a sa première pause. Mais comme piqué au vif de s’être fait rattraper, il va aussitôt redémarrer et me reprendre de l’avance.
Marciac, première halte pour moi. C’est jour de marché, et au détour des étals, je repère un traiteur régional qui propose des ratatouilles. Elles ont l’air succulentes, mais à 8€ la portion, ça vient un peu grever mon budget. Je patiente donc 30 min, que les premiers commerçants remballer, et hop, second passage… Il ne reste que 3 portions, je leur fais un air de chien battu, qu’ils vont rester avec ça sur les bras et que je suis un pauvre pèlerin affamé, et hop, du coup, la vendeuse me fait un beau sourire, un clin d’oeil, et le ravier à 5€ 😋
Je file dans le parc jouxtant l’église où je retrouve… Walter mangeant des tartines !
La suite du trajet sera un jeu de saute-mouton entre nous deux, auquel je prendrai finalement le dessus lorsqu’il s’arrêtera à la recherche d’un point d’eau dans un cimetière.
Ballet étrange d’un hélicoptère militaire au-dessus de nos têtes durant toute l’après-midi. On ne saura jamais ce qu’il cherchait, d’autant qu’à 22h, on l’entend encore…
Sinon, pour ce soir, je pose mon sac chez Anne-Marie. Sacré petit bout de femme de 71 1ns, qui a consacré toute sa vie à l’accueil des pèlerins en essayant de conserver cette esprit de partage et de convivialité.
Mais alors là, quel personnage ! 1m50, à peine 40 kg, énergique comme une pile électrique, vociférant et gesticulant toute seule sans même vouloir qu’on l’aide, mais râlant parce qu’elle doit faire tout toute seule.
Elle me préparera d’abord un bain de pied d’argile verte, avec interdiction de bouger pendant 1h30.
Pendant ce temps là, elle nous concoctera un crumble aux pêches qu’elle passera plus de temps à nettoyer que nous à le manger. Parce que chez elle, rien ne se jette, pas même les fruits pourris qui jonchent le sol. Pommes, poires, prunes, figues, mirabelles, pêches, chaque fruit plus blet que son voisin a son panier, couvert de mouches et de guêpes, mais tout sera méticuleusement nettoyé pour n’en retirer que le meilleur, le reste allant au compost.
Elle fait tout elle-même, conserves et bocaux en tout genre, en confiture ou au sirop
Et pour nous, au menu de ce soir : salade composée et oeufs à la russe en entrée, suivi d’un poulet aux petits légumes de saison.
Et bien entendu crumble en dessert !
Ah oui, je dis « pour nous », parce que je suis à nouveau avec Walter et Anna, l’autrichienne, qui s’est enfin décidée à se dérider un peu.
Une agréable soirée parfois un peu surréaliste, mais un excellent repas et une très bonne ambiance qui nous mènera jusque 22h30 tant Anne-Marie est volubile…
Via Tolosana, jour 29 :
Auriebat – Anoye
Si vous m’aviez dit ce matin qu’aujourd’hui, je dormirai à Hanoï, je vous aurais ri au nez !
Et pourtant, phonétiquement parlant, j’y suis arrivé, à Hanoï/Anoye.
Allez, trêve de plaisanteries belges à 2 balles ! 😂😂
Avec Anna et Walter dans le même gîte, hors de question de faire la grasse matinée. D’autant qu’Anna doit partir tôt pour attraper son bus à Maubourguet.
Walter, lui, se la joue cool : Maubourguet aussi, mais pour y faire étape, soit à peine 8km. Il se lève donc à 6h30 par habitude mais en réalité, il n’est vraiment pas pressé.
Quant à moi, finalement, ça m’arrange bien de partir un peu plus tôt : 32 bornes m’attendent !
Dès que j’enfile les chaussures, je suis étonné de mes pieds. Étonnamment souples et sans douleurs. Les anciennes ampoules se font oublier, même sans pansement, et le petit doigt de pied récalcitrant se montre clément. Franchement, je dirai que je ressens 40 à 50% de douleurs en moins que la veille. Moi qui étais plutôt sceptique, je dois bien reconnaître que l’argile verte a fait des miracles !
Pas folichon le parcours du jour. Pas mal d’asphalte, quelques sentiers en forêt, mais pentus, rocailleux, et pas agréables pour un sous ! Pour le reste, d’interminables dédales dans des champs de maïs ou de soja transgéniques, dont j’ai appris il y a quelques jours que 95% sont destinés au biocarburant.
Le soleil est de la partie, et dès 11h, ça commence déjà à bien taper. Lorsqu’en plus, je me paye des longueurs de bitume ou de béton surchauffés, voir des kilomètres entre des rangs de maïs plus hauts que moi sans la moindre ombre, je sue !
Je suis content d’arriver au terme du trajet.
Une journée sans rencontre, si ce ne sont quatres beaux serpents, dont je n’aurai le temps que d’apercevoir la moitié du corps se faufiler dans les fourrés. Des couleuvres, pour sûr, à en juger la taille et le diamètre : pas loin d’un mètre. Malheureusement pas eu le temps de dégainer l’appareil photo.
Par contre, la couleur m’a étonné : très clair, alors que chez moi, elles sont plutôt gris/noirs. Probable adaptation à la végétation…
Bien installé au super gîte de Anoye. Super propre, très spacieux, avec fauteuil et canapé, ainsi qu’une épicerie de dépannage aussi bien achalandée qu’un vrai magasin (sauf que c’est tout en non-périssable : conserves, plats sous vide, pâtes, riz, etc.). Pour vous dire, il y a même du foie gras ! (Le local n’est évidemment ouvert qu’en présence de l’hospitalier bénévole).
Et en plus, en cuisine, un frigo garni de bières, jus de fruit et glaces !!! Avec tarif et boîte à donativo. J’aime cette confiance aveugle, ça devient rare, mais c’est tellement agréable !
Deux condisciples ce soir, pas bavards, et en réalité, pas vraiment eu l’occasion d’ouvrir le dialogue. Je suis arrivé à 17h50, douche, lessive, promenade jusqu’à la fontaine que l’on dit vertueuse pour y tremper les pieds (interdiction formelle de dire miraculeuse : on ne peut pas faire concurrence à Lourdes qui se trouve à moins de 40km ! 😂😂)
Puis le temps de me cuire quelques pâtes, ils se sont enfermés dans leur chambre et dorment déjà.
Deux jeunes en vélo, dont je ne sais rien et que je ne reverrai sûrement pas.
Demain, journée de presque repos : 14km jusque Morlaas. Pas le choix, car aucun logement sur l’étape suivante, à moins de me payer l’hôtel ou une chambre d’hôte ! Hors budget pour moi (sauf si vous me faites des dons !!! 😂😂).
Bon, allez, je m’en vais compter mes p’tits sous pour prendre une dernière bière dans le frigo 😝
Via Tolosana, jour 30 :
Anoye – Morlaàs
Put.. qu’est-ce que j’ai bien dormi ! D’une seule traite, ce qui est exceptionnel pour le mauvais dormeur que je suis ! (même si il parait que je ronfle.. Mais moi, j’en sais rien… Je dors ! 😂😂)
J’ai d’autant mieux dormi que rien ne presse ce matin : 15 petits kilomètres, tranquillou !
Je flâne au déjeuner ( ndlr : repas du matin, je dé-jeune !), je traine à faire mon sac, je zieute un peu vos commentaires, puis à 9h15, je pars en sifflotant.
Il fait déjà chaud. D’autant que le parcours commence par une petite côte bien ficelée qui précède une interminable route bordées de maïs.
De nouveau cet hélico militaire qui tourne à basse altitude. Je vais finir par penser que c’est moi qu’ils cherchent.
A mi-parcours, je rencontre un brave homme qui tond sa pelouse. Et puisque pour une fois, j’ai largement le temps de taper le carton, on commence à discuter de l’eau, de la pluie et du bon vieux temps… Avant qu’il ne me propose une bière fraîche ! Ben tiens, il est environ 11h30, une bonne heure pour l’apéro 🍻
La suite du parcours n’en sera que plus facile 😜
Et c’est donc sur les chapeaux de roue que je boucle l’étape.
Direction la magnifique cathédrale Sainte-Foy, puis recherche du camping.
Là, par contre, ça va un peu foirer : comme souvent en ville quand je cherche mon lieu de villégiature, je branche le gps, et il me fait revenir 1,4km en arrière.. Sauf qu’il m’envoie carrément à l’opposer. Et qu’une fois perdu le long d’une National extrêmement passante, je rentre dans le dépôt de la poste, c’est pour apprendre que ce camping municipal est à l’autre bout de la ville, soit 1,8km dans l’autre sens ! J’enrage : 1h de perdu, alors que je comptais en profiter pour me reposer en prévision de demain.
Enfin soit ! Sur place, si le camping qui affiche 2 étoiles n’est pas forcément le Camping Paradis, il est propre et fonctionnel, avec un local pèlerin bien équipé. Mais il est surtout bien situé, juste à côté d’un supermarché et… De la piscine municipale.
Et donc, devinez ? Pour la première fois sur un Chemins, je m’offre une après-midi piscine ! Quel bonheur de patauger dans une eau délicatement fraîche en se laissant porter par les remous, en sachant qu’en plus, j’ai largement le temps devant moi !
A mon retour au gîte, toujours seul, je serai rejoint un peu plus tard par Manuel, mon pote portugais déjà croisé à Montpellier et Léguevin. Puis en début de soirée, par Marta et Antonio, portugais également mais vivant en France.
Soirée animée donc, où bières et vins côtoient saucisses, taboulé, fromages et yaourt.
Il est 22h quand nous mettons un terme aux ripailles.
Je ne vais d’ailleurs pas tarder non plus. Le temps de boucler ce billet car demain, difficile journée, longue et asphaltée avec le contournement de Pau.
Boa noite (bonne nuit, en portugais 🇵🇹)
Via Tolosana, jour 31 :
Morlaàs – La Commande
Déjeuner et préparation dans une joyeuse ambiance, ce matin, avec mes 3 amis portugais.
Si Marta et Antonio s’arrête à Lescar (20km), Manuel et moi avons décidé de pousser jusque Lacommande, soit environ 34 bornes.
Sauf que… En coupant court par une Nationale, certes très passante, on peut « économiser » près de 4km.
Alors je dois vous avouer que parfois, sur base des conseils de nos différents hospitaliers, ou quand clairement le GR fait un crochet avec comme unique but un intérêt touristique ou économique, il m’arrive parfois de prendre la tangente. Et en ce qui concerne ce jour, le passage par une forêt qui ne présente aucun intérêt me pousse à prendre l’alternative.
Ne soyons pas plus catholique que le pape : la voie d’Arles se confond en permanence avec le GR, qui n’a absolument rien d’historique par rapport au Chemin de Saint-Jacques. Et donc, ces libertés n’en sont pas vraiment puisque le pèlerin d’antan allait souvent au plus court.
Contournement de Pau aujourd’hui. Un trajet essentiellement asphalté, cependant entrecoupé par des sentiers relativement bucoliques.
Et étonnamment, alors que Pau est une »grande ville », je n’ai aucune explication quant au fait qu’on la contourne sans jamais y entrer. D’où certainement les expressions : pas de « Pau », manque de « Pau », il s’en est fallu de « Pau », etc, etc. 😂😂
Premier arrêt à Lescar, charmant petit bourg doté d’une belle cathédrale où se prépare un mariage.
Mais il me reste 14 km jusqu’à ma destination finale, je n’y trainerais donc pas.
C’est reparti par un passage le long du Gave de Pau (ne cherchez pas, c’est le vrai nom, il n’y a pas de jeu de mot), puis la traversée de Artiguelouve, où je discuterai près d’une heure avec 3 ados très intrigués et impressionnés. Vient ensuite la montée du Cinquaux, et la descente vers Lacommande, où je serai accueilli par une jeune étudiante aux magnifiques yeux gris.
Super gîte dans l’enceinte même de la Commanderie, ancienne bastide du XIIème s. d’où le village tient son nom. Elle est en outre accolée à une église romane simple et dépouillée comme je les aime. Ce genre d’église, que j’avais déjà eu l’occasion d’apprécier à Bostens, sur la voie de Vézelay, dans lesquelles je ressens une énergie et une spiritualité particulière jusqu’à m’en donner des frissons.
Je serai rejoint un peu plus tard au gîte, comme prévu, par Manuel.
Nous débrieferons la journée en parlant des Pyrénées que nous avons pu admirer une bonne partie du trajet.
Demain, Oloron-Sainte-Marie, étape réputée difficile en cas de pluie et le ciel n’annonce rien de bon pour la nuit. Puis commenceront les premiers contreforts avant le passage mythique du Somport et ses 1632 mètres d’altitude prévu pour mercredi.
Nous sommes fatigués de notre journée.
21h15, Manuel dort déjà du sommeil du Juste pendant que je termine de vous écrire.
Je croise les doigts pour une météo clémente…
Via Tolosana, jour 32 :
La Commande – Oloron-Sainte-Marie
Yessssss !!! Il n’est pas tombé une seule goutte cette nuit. Le ciel est toujours aussi chargé, pas la moindre éclaircie à l’horizon, mais pas une once de pluie !
L’étape qui s’annonçait donc difficile, plaquante et glissante se fera en théorie sans souci.
Huit heures sonnent au clocher lorsque je quitte le gîte de Lacommande. Quelques encablures de routes et très vite on entre dans une magnifique forêt où règne un silence relatif.
Car une forêt n’est jamais silencieuse à qui sait l’écouter. Du chant des oiseaux au pic-vert qui tape un tronc creux, des pommes des pin et des glands qui rebondissent de branches en branches avant de s’écraser au sol sur un tapis moelleux de feuilles et d’épines, de la chouette qui hulule au coucou qui « coucoute », jusqu’à l’écureuil ou au chevreuil invisible dont on devine la présence, fermez donc les yeux et écoutez. Je ne connais bruit plus apaisant que de rester immobile au cœur d’une forêt.
Mais une belle forêt qui grimpe, prémices des premiers reliefs pyrénéens, où parfois aussi résonne le souffle court de ma propre respiration entrecoupé des piquetages de mon bâton sur des cailloux gros comme des maisons !
Le parcours est certes beau, mais épuisant. Ça grimpe… Et ça descend dans des sentiers ravinés dignes de mini Grand Canyon dans lesquels s’entrechoquent roches et branchages.
Pas facile, et je n’ose en effet imaginer le même trajet sous la pluie qui fort heureusement nous épargnera toute la journée !
Je serai rattrapé à mi-parcours par mon ami Manuel. C’est qu’il galope avec ses petites jambes de portugais rondouillard ! J’ai même du mal à le suivre, et dans les côtes, il me laisse littéralement sur place.
Mais on rigole bien ensemble, et les quelques jours passés nous font déjà des anecdotes qui font naître en nous souvenirs et fous rires.
C’est donc ensemble qu’on fera notre entrée à Oloron-Sainte-Marie, ville d’importance à l’histoire mouvementée.
Sauf qu’on est dimanche, qu’il est à peine 13h, et qu’un dimanche à 13h dans une ville de banlieue en France, on s’ennuie un peu comme un rat mort !
Heureusement que nous faisons halte au refuge associatif et que l’hospitalier, Antoine, est un véritable boute-en-train. Mélange de basque et de marseillais, du moins dans son caractère et son franc-parler, râleur, bougon, têtu, ironique, sarcastique, empirique et très loquace, intarissable sur tous les sujets, il fait son show, et plus on en rit, plus il en rajoute !
Nous resterons à l’écouter pour son plus grand plaisir et le nôtre jusqu’à 20h passées.
Au gîte ce soir ? Outre Manuel et moi, je partage la chambre avec Michel et Jean-Yves, deux canadiens. Je retrouve aussi Anna, l’autrichienne au mauvais caractère, ainsi que Marta et Antonio, rencontrés avant-hier à Morlaàs. Il y a aussi un couple de japonais.
Bref, nous approchons de l’Espagne. Les Chemins se rejoignent, les gens se regroupent ou se retrouvent. Et les soirées s’internationalisent…
Via Tolosana, jour 33 :
Oloron-Sainte-Marie – Sarrance
Je pense que je viens de passer la nuit avec le champion du monde des ronfleurs ! Un truc incroyable, et trop la flemme de chercher mes bouchons au milieu de la nuit. Mais ce matin, on était tous d’accord pour lui signifier qu’il avait battu un record !
Fatigué, donc, mais de très bonne humeur dans notre chambrée avec nos deux québécois, Manuel et moi.
Direction Sarrance aujourd’hui, avec une petite appréhension sur le trajet car il a plu une bonne partie de la nuit.
Le départ d’une ville se fait bien entendu par la route. Mais environ une heure après, on bifurque dans les bois et c’est là que ça se gatte.
Belle forêt, mais qui commence par un raidillon assez costaud. Et avec la pluie, quand c’est plat, ça colle, quand ça descend, ça glisse, et quand ça monte, c’est pire, ça patine !
Mais bon, la pluie a ceci de magique qu’elle ravive couleurs et les parfums. Tout embaume, les gouttes d’eau sur l’herbe sont comme autant de brillants, les feuilles luisent de mille feux, et le clapotis des ruisseaux et autres sources réveillés par cette manne d’eau providentielle accompagne chaque tour et détour.
Beau mais chaud-chaud donc. Mais je ne devrais pas m’en plaindre car au sortir, ça ne sera quasiment que de la route !
Mais quelle route. Je pense que c’est peut-être une des étapes que j’ai préférée jusqu’à présent.
Petite route de campagne qui suit les ondulations du terrain au pied des montagnes, les vues sont splendides et on se sent tout petit.
On passe de villages en hameaux, on zigzague à travers les prairies, on entend au loin les cloches des vaches accrochées aux alpages, on observe l’envol des buses ou les ronds de chasses des milans noirs. C’est beau, c’est vert, c’est calme. Chaque paysage est digne d’une carte postale.
Sauf que demain et le jour d’après, ces montagnes, je vais devoir les franchir. Mais il ne faut trop y penser et juste profiter. Demain est un autre jour.
Comme hier, alors que je discutais depuis près d’une heure avec un ancien (81 ans) qui coupait encore son bois à la hache et au coin, voilà Manuel qui me rattrape. De nouveaux fous-rires en perspective, même si il va décidément beaucoup plus vite que moi et que je le laisserai filer rapidement au risque de m’épuiser.
Ça n’est que 3 km avant l’étape qu’il m’attendra pour qu’on finisse ensemble.
Ce dernier sentier va d’ailleurs s’avérer magnifique mais passablement dangereux, à peine plus large que nos pas, parfois très rocailleux, accroché à la montagne avec un torrent en contrebas, et de nombreux passages en partie éboulés. Mais bon, on y survivra en redoublant d’attention.
Sarrance est un petit bourg de montagne tranquille. Nous logeons au monastère ce soir. Deux moines, et une quinzaine de retraitants, repas communautaire qui va s’avérer délicieux : buffet varié à volonté, garbure végétarienne, poulet, boudin noir grillé, tourte, haricots blancs, salade, fromage, etc.
Seul bémol, pas d’alcool. Et si Jésus changea l’eau en vin, je ne suis pas parvenu à la changer en bière.
Qu’à cela ne tienne, je finirais au bar avec Michel et Jean-Yves, les deux québécois, où devinez quoi, ils servent de l’Affligem au fut !
Aussi ce soir, un gros pipi et au lit 😂😂😂
Via Tolosana, jour 34 :
Sarrance – Borce
Punaise, ça caille ce matin ! A peine 9°c, et une humidité lourde et glaciale. Même les arbres nous pleurent dessus tant l’atmosphère est dense.
Au départ de Sarrance, le Chemin repart le long du gave d’Aspe par le même sentier qui nous y avait amené hier. Étroit et sinueux, parfois à flanc de falaise sur une trace éboulée ou au dévers dangereux, il faut avoir l’oeil et redoubler de prudence, mais en même temps c’est tellement beau qu’on en perd presque toute notion du danger.
Sauf quand le rocher lui-même est pourvu d’un câble d’acier comme une véritable Via Ferrata, comme pour nous rappeler que le risque est toujours présent.
Et lorsqu’on quitte les rives du Gave, c’est pour mieux admirer les nouveaux paysages qui nous entourent. Parce qu’en montagne, chaque détour nous offre une nouvelle vue.
Qu’elle soit verte ou rocailleuse, dominée par les rapaces ou occupée par un berger qu’on entend siffler sans jamais l’apercevoir, chaque flanc nous offre un spectacle étourdissant. On marche le nez en l’air, au risque de se trébucher, mais on ne peut s’empêcher de se laisser imprégner par ces paysages sans cesse renouvelés.
J’aime la montagne. Je ne me suis jamais expliqué cette fascination, mais elle me procure à chaque fois ces mêmes émotions. Mélange de beauté, de puissance et de sérénité.
On nous avait annoncé un parcours désagréable aujourd’hui, le long d’une Nationale passante et encombrée de camions. Il n’en sera rien, si ce n’est sur quelques centaines de mètres.
L’essentiel se fera le long de l’eau, en dos d’âne de relief en relief, parfois au travers de servitudes à travers des prairies malheureusement dépourvues vaches ou de moutons. Pas forcément un parcours facile, mais varié et bucolique.
Vingt-trois kilometres pour rejoindre le village de Borce, niché au cœur d’une vallée verdoyante. J’ai hésité pourtant. Au départ, j’avais l’intention de rallier Urdos, pour ainsi réduire de 5km mon ascension du Somport. Mais l’appel de mes amis fut plus fort. Ils s’arrêtaient tous ici aujourd’hui, et c’est définitivement la dernière soirée que je pouvais passer avec eux.
Demain, l’Espagne et le Chemin aragonais. Une autre ambiance, d’autres personnes…
Pour l’heure, donc, je suis à Borce, au gîte géré par l’unique bar du village. Un bar qui a en outre la particularité d’offrir une carte de 40 bières dont les 2/3 de belges !
Croisée de chemins (notez que je mets ici une minuscule à chemin), nous sommes mélangés avec ceux qui « font » le GR10, sentier de grande randonnée qui relie la Méditerranée à l’Atlantique en passant le long des Pyrénées (en parallèle du chemin des Crêtes, qui propose le même parcours mais en haute montagne).
Deux mondes, deux ambiances. On sent bien en eux cet esprit sportif, le défi, la performance, l’individualisme. Mais surtout le manque de ces petits quelques choses qui font les Chemins de Saint-Jacques : le partage, la fraternité, l’entraide, le sujet commun d’une passion qui nous anime.
Enfin bref, je finirai au bar avec une Triple Karmeliet, une Westmalle et une bière IPA locale pour ne pas mourir idiot.
Bonne nuiiiiit 🍻🍻🍻
Via Tolosana, jour 35 :
Borce – Col du Somport
Bousculade au gîte, ce matin, entre nous pèlerins, et les GR10, bruyants et envahissants. Deux mondes qui se côtoient sans se parler ou presque, tant ils sont dans leur monde et leurs statistiques. Alors oui, je suis définitivement pèlerin, pas randonneur !
Huit heures sonnent au clocher. Je suis le dernier à partir. Il fait 8 degrés. Et on commence par 4km d’asphalte pure le long d’une Nationale passante et sans accotements. Pas top, mais il faut bien s’y coller.
Par contre, pour la suite, alors qu’il était prévu que nous ne fassions que de la route, ça sera sentiers sur sentiers. Un nouveau trajet, paraît-il, inauguré il y a une paire d’années.
Ça grimpe, fort, parfois très fort. On doit atteindre aujourd’hui le point culminant de cette voie, le col du Somport, 1632m.
Mais encore des paysages de montagne fascinants. Des vaches et des cloches, des moutons qui bêlent, des sifflements strident de milans en chasse, des cascades et des ruisseaux en veux-tu en voilà.
Je ferai une partie du trajet en compagnie de Michel et Jean-Yves, mes deux amis québécois.
Nous rattraperons ensuite Antonio, Marta et Anna.
Mais le point d’orgue du trajet sera le rendez-vous fixé par Jean-Yves avec des ses amis rencontré sur les Chemins en 2011.
Adrien est un bout-en-train. Il nous attend sur un petit parking lors d’une de nos rares traversées de route, avec un coffre rempli de victuailles : saucisses, pâté de canard, rillette d’oies, tomates-cerises du jardin, œufs durs, chips, pain, eau fraîche, bananes, nectarine, café et… Bière ! Ma tête lorsqu’il m’a sorti une bouteille de Leffe comme si elle venait du frigo !
Chouette moment inoubliable, tous réunis autour de lui faisant le show, chantant et racontant des blagues. On « perdra » presqu’une heure, mais qu’est-ce un heure sur un Chemin, si ce n’est un moment d’éternité durant lequel le temps suspend son vol.
Il nous restera encore après cette rencontre 7km de grimpette dans une magnifique forêt.
Jusqu’au Somport, passage de frontière et ses 1632m d’altitude. Ça y est, je suis en Espagne !
Je pensais pousser jusqu’à Canfranc-Estaciòn. Mais je suis épuisé, je n’ai littéralement plus aucune force dans les jambes. Alors j’ai décidé de rester ici, avec mes amis.
Mais bon, gîte de col, touristique, beaucoup de randonneurs, de cyclistes et de promeneurs. Et des prix qui s’en ressentent. Ça pique un peu au portefeuille (21€ la nuit avec le déjeuner, pas de cuisine et donc obligé de manger sur place, puisque bien entendu ils font aussi restaurant).
Quant à l’accueil, ben forcément, quand tu es seul et que tu le sais, pas besoin d’être aimable puisque les clients n’ont d’autre choix que de venir chez toi ! Enfin soit, on s’en accommodera, et finalement, le serveur finira par se dérider en fin de soirée.
Et puis la vue n’a pas de prix.
Demain, c’est une vertigineuse descente de 31km qui nous attend, dont les huit premiers sont classés rouge.
Aussi, je ne vais pas trainer à rejoindre Morphée… Double couverture cette nuit, on annonce 3° 😨😨😨
Via Tolosana, jour 36 :
Somport – Jaca
(Prononcez « Rrrraka » 😂😂)
7°c, une bruine épaisse, collante et pénétrante, un brouillard à couper au couteau. Telle est la situation au départ, ce matin.
C’est ainsi en montagne : le temps peut virer en quelques instants, et d’un soleil resplendissant passer à des nuages chargés de pluie et d’orages (que nous n’aurons heureusement pas !).
La descente vers Canfranc-Estaciòn est déjà réputée difficile, nous n’osons imaginer sous la pluie, avec des rochers lisses et glissants. Mais il faut qu’on s’y colle, c’est le quotidien du pèlerin. Qu’il pleuve, neige ou vente, quelles que soient les courbatures ou la fatigue, on avance.
Et bien finalement, ce ne fut pas si difficile que ça. Certes quelques passages avec des rochers et des escaliers de géants, mais pour le reste, des sentiers entourés de vaches sans clôture ni barrière, des cascades et des passerelles en bois, ou des chemins un peu plus rocailleux.
A ce sujet, la partie entre Canfranc-Estaciòn et Villanùa m’est d’ailleurs apparue beaucoup plus éreintante, avec des passages infernaux d’empierrement grossier qui cassent les chevilles.
Puis ce fut un long trajet de 3km en bordure de Nationale, certes en contrebas sur un chemin caillouteux, mais avec toujours en toile de fond cette circulation.
Quant à la fin du parcours et quasiment jusqu’à destination, on longe le Rio Aragon qui brille de mille feux sous un soleil resplendissant.
Parti ce matin bon dernier pour ne pas changer, je rattrape Marta et Antonio. On savoure nos derniers instants avant de se quitter car ils arrêtent leur Chemin aujourd’hui à Canfranc-Estaciòn. Un aurevoir avec un pincement au cœur.
Sur le Chemin, il suffit d’un soir pour sympathiser. Au deuxième, on est déjà les meilleures amis du monde. Au troisième, c’est presque de la famille.
Aurevoir aussi à Anna, mon autrichienne ronchonne, que je rattraperai un peu plus loin, et pour qui finalement j’avais beaucoup de sympathie.
Sous ses airs, c’est une dame de 73 ans, timide, d’autant plus freinée par la barrière de la langue, mais souriante, drôle et généreuse lorsqu’elle est en confiance. Elle avait trouvé en nous des amis, elle va aujourd’hui se retrouver seule, mais elle va continuer jusqu’à Santiago en mémoire de son mari, disparu il y a quelques mois. J’étais ému en la serrant dans mes bras, comme si quelque part, j’abandonnais notre mamy.
Michel, le québécois, s’en était déjà allé hier pour découvrir Cluny et pas que… Des adieux sur un fond de « pas assez » car nous aurions tous aimé qu’il continue avec nous.
Il ne reste donc que Jean-Yves, l’autre québécois, et moi. Et José le portugais, que je retrouverai ce soir au gîte de Jaca.
Jaca semble être une très belle ville. Cependant, après une longue étape de 31km, et bien que celle-ci me parut relativement facile, mes pieds crient au scandale ! Tendons et ligaments se liguent de concert pour me rappeler qu’il ne faut point trop forcer. Et ce soir, comme pour me le faire payer, ils vont invariablement se contracter, se figer, pour bloquer mes chevilles endolories.
Une douche, de l’eau fraîche, quelques massages et beaucoup de repos devraient les satisfaire.
Gageons que demain, ils veuillent bien redémarrer…
Via Tolosana, jour 37 :
Jaca – Arès
Réveil tardif, départ tardif. Il est 9h15 quand je claque la porte du refuge municipal de Jaca, et pour ne pas changer, encore une fois le dernier.
J’ai fait mes adieux à José ce matin, mon ami portugais. Il stoppe aujourd’hui pour se reposer une semaine avant de décider par quel Chemin continuer. Il en est à son 22ème camino et il s’intéresse maintenant aux Chemins oubliés, qui par définition ne sont pas encore bien référencés et structurés.
Quant à moi, je continue aujourd’hui vers le village de Arès.
Un parcours sans aucun charme, le long d’une route nationale très fréquentée, parfois sur une étroite bande de terre qui longe directement la chaussée, parfois sur un large empierrement carrossable légèrement en contrebas.
Les rares moments où ce chemin s’éloigne un peu, ça n’est jamais que de quelques dizaines de mètres pour passer par un sous-bois aux arbres maigrichons qui ne cachent de la route ni la vue ni le son.
Il nous faudra attendre Puente la Reina de Jaca pour enfin profiter d’un peu de quiétude et de beaux sentiers. Mais il ne nous restera alors que 3 petits kilomètres avant l’arrivée.
J’ai croisé un groupes de pensionnés aujourd’hui. Cinq potes, qui s’aventurent une semaine pour la première fois sur le Chemin. De joyeux drilles marseillais qui partent un peu sans trop savoir, si ce ne sont les noms des villages et des hôtels qu’ils ont réservés avant leur départ.
L’un d’eux est mal en point, souffrant d’ampoules sur la plante des pieds. Je lui dispense sans prétention quelques conseils.
Un autre se plaint du poids du sac sur les épaules. Je lui explique le rôle de la ceinture abdominale qu’il doit bien serrer pour porter l’essentiel de la charge sur les hanches.
Puis après les avoir salués, je les laisse à leur camaraderies.
Mais au fil des pas qui m’éloignent d’eux, je ne cesse de penser à celui avec ses ampoules. J’ai tant bénéficié des soins et des conseils de la pharmacienne de Montpellier, puis d’Amélie, l’infirmière providentielle de Lodève. J’ai ce qu’il faut dans mon sac : pommade, tulle gras, pansements. Et je n’en aurai plus besoin…
Dans herbe desséchée d’une prairie, je tombe le sac, je sors le nécessaire et je l’attends. Je lui explique ce que j’avais si bien appris. Il se confond en remerciements, il veut me dédommager pour ce que je lui offre. Mais je ne veux rien.
C’est ainsi sur le Chemin : hier, on m’a aidé, aujourd’hui, c’est à mon tour. C’est parfois un bout de pain, un repas partagé ou quelques médocs, c’est parfois juste une oreille attentive et un peu d’écoute.
En lui offrant cette crème et ces pansements, je me sens plus léger d’avoir soulager mon sac et mon cœur. J’espère que ça lui suffira et qu’il pourra continuer pour les quelques jours qu’ils leur reste.
Refuge de Arès. Petit village abandonné il y a 50 ans, qui renaît de ses ruines sous l’impulsion de passionnés. Il compte de nouveau aujourd’hui 40 habitants, probablement une centaine de chats sauvages et deux chiens amorphes.
L’albergue est situé dans l’ancienne maison de l’instituteur du village. Et à découvrir les photo de sa restauration, ils sont parti d’un tas de gravats sans toit pour tout reconstruire et proposer aujourd’hui un gîte et un accueil exceptionnel.
Dans la plus pure tradition du Chemin, il fonctionne en donativo. Un verre d’eau citronnée à l’arrivée, le repas préparé par les hospitaliers, avec entrée, plat, dessert et vin, une super ambiance, et le déjeuner servi dès 6h30 demain matin !
Nous sommes 8 pèlerins, dont Jean-Yves le québécois et moi.
Demain, il paraît que c’est un village fantôme qui nous attend 😨😨👻👻
Via Tolosana, jour 38 :
Arès – Ruesta
Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Alors qu’hier, ce fut essentiellement un pénible trajet le long d’une voirie passante, aujourd’hui était littéralement « alunissant ».
Mais commençons par le début, un réveil matinale puisque le déjeuner était servi à 6h30 ! Ils sont fous ces hospitaliers !!!
Une ambiance donc plus feutrée que celle du souper, on sent bien que tout le monde dort encore un peu.
Départ à 8h15, pourquoi se presser à partir dans le noir alors que tout est si beau quand le soleil rase de ses premiers rayons les reliefs du paysage ?
D’autant que c’est un trajet de toute beauté qui nous attend.
Robert, l’hospitalier irlandais, nous l’avait prédit, mais ce fut encore plus beau qu’annoncé.
Après une périeuse descente de la colline de Arès, nous rejoignons les plaines fertiles de l’Aragon. Un tracé tout plat si l’on excepte le relief des quelques monticules qui jalonnent le terrain. Pour peu, cela a presque parfois des airs de Meseta.
Mais là où cela prend une toute autre dimension, c’est lorsque le Chemin serpentent à travers les collines de marnes bleues ravinées par les éléments. C’est fantasmagorique ! On se croirait presque par moment dans des paysages lunaires.
Et la toile de fond n’est pas en reste, avec ces Pyrénées et ces falaises rouges. J’imagine en leur sommet une paire de sioux chevauchant à cru des bêtes racées et luisantes de sueur. Je m’attend à chaque détour à voir une carriole bâchée de blanc avec une famille de colons américains ou Charles Ingalls occupé 3 planter des piquets !
(Je vous donnerai l’adresse de mon dealer 😂😂)
Au premier village perché en haut d’une colline, après 16km, je retrouve 3 de mes amis du matin : Jean-Yves, bien sûr, avec qui j’avais déjà marché une partie de la matinée, mais aussi Annie et Eugène, un couple de pensionnés de Stuttgart.
Il est bientôt 13h, on en profite pour se restaurer : un boccadillo de tortilla et « Una cania grande » feront l’affaire.
Suite du parcours par l’ancienne route abandonnée, pour rejoindre Ruesta, tout autant abandonné que la route.
Ruesta est un village médiéval, avec un château du XIIème s., son église du XVIème s., er ses maisons typiques espagnols. Mais un village totalement déserté car il devait être submergé lors de la construction du barrage de Yesa en 1959.
En 2019, le barrage est toujours là, mais les flots ne sont jamais parvenus jusqu’à Ruesta. Le village n’est plus que ruines, à l’exception d’un seul bâtiment, l’albergue, tenue par des passionnés qui l’ont patiemment restaurée. Ce qui confère au lieu cette sensation fantomatique.
Nous sommes sept : Jean-Yves et moi, Annie et Eugène de Stuttgart, Dormut l’irlandais, et Huguette et Michel de Poitiers.
Gîte sympa, ambiance cosmopolite, repas simple mais très bon proposé au bar du gîte (il n’y a pas de petit profit…), tous les ingrédients d’une agréable soirée.
Mais au niveau des anecdotes, je dois tout de même vous conter la présence d’une espagnol et de son père.
Elle a un cinquantaine d’années, lui en a une vingtaine de plus. Hier à Arès, ils ne se sont pas adressé la parole de toute l’après-midi, et ils n’ont pas participé au repas communautaire. Ce matin au déjeuner, ils ont à peine répondu à nos « Buenos dias ».
Mais le summum vient de la journée. Par deux fois, je les au croisé. Assis à 10m l’un de autre, lui couché par terre en train de fixer les nuages, elle les yeux rivés sur son smartphone.
J’avais l’impression de vivre un remake de « Saint-Jacques – La Mecque », et de les imaginer devoir s’obliger se réconcilier pour toucher un héritage !
Nous n’en saurons jamais plus sur eux. Ils ont fait étape à mi-parcours et sont déjà 10km derrière nous…
Pour l’heure, le vin fut bon et mes paupières se closent. A l’instar d’aujourd’hui, demain est un autre jour…
Désolé pour ceux qui avaient déjà liké et commenté, j’ai dû republier suite à la disparition de toutes les photos jointes 🤔😡
Merci Facebook…
Via Tolosana, jour 39 :
Ruesta – Sangüesa
Quatre cents mètres de dénivelé sur environ quatre kilomètres, ça n’a l’air de rien, mais c’est quand même moins facile que ça n’y paraît… Surtout les trois derniers kilomètres ! 😂😂
C’est ce qui nous attendait ce matin au départ de Ruesta.
Petite descente bien rocailleuse vers le lit asséché de la rivière, traversée du camping tout aussi abandonné que le village, aux allures de Pripiat après la catastrophe de Tchernobyl, quelques encablures en guise d’échauffement, puis bim : une interminable côte !
Mais en son sommet, nous sommes récompensés par une incroyable vue sur la vallée, les collines qui ceinturent l’horizon et, moins drôle, les alignements d’éoliennes qui ponctuent toutes les crêtes.
Un seul village aujourd’hui, après 12 kilomètres de marche en plein soleil, perché sur une colline et gagné au prix d’un ultime effort par un sentier constitué de grosses pierres sur chant. Un chemin tellement vieux que plus aucune pierre n’est alignée avec ses voisines à tel point que chaque pas est posé avec calcul et délicatesse.
J’aurai la chance dans ce village d’y croiser un fauconnier. Un « vrai », pas un fauconnier de parc animalier. C’est-à-dire un gars qui chasse réellement le lapin et qui a une relation très forte, presque fusionnelle avec son rapace. Il le caresse, pose son bec affûté contre sa joue, lui parle, comme si c’était un chat. Mais attention, me prévient-il, ne t’approche pas, il aurait vite fait de couper un doigt ou te crever un œil !
J’aurai toutefois le privilège de prendre des photos, j’étais fasciné par la beauté de l’animal, son aspect racé, la taille de ses griffes, mais surtout par son regard perçant et hypnotique.
Je suis à ce moment à la moitié du trajet. Mais le reste sera un peu ennuyeux. Pas forcément moche, loin de là, mais monotone, sur un large sentier empierré à travers d’immenses champs de blé et des montagnes de ballots de paille. Avec en sus un vent de face qui soufflait en continu.
Très belle ville que Sangüesa. Une chouette albergue municipale, pas cher (5€) et bien équipée, avec un grand dortoir de 18 lits simples (c’est-à-dire pas superposé).
Je retrouve la même équipe qu’hier, sauf qu’ils iront tous au resto alors que Jean-Yves et moi, après avoir fait le tour de la ville et dégusté une bière à la terrasse d’un bar, nous en profiterons pour cuisiner et décharger nos sacs de toute la bouffe qu’on transporte depuis 3 jours.
Bouillon aux vermicelles en entrée, spaghetti aux sardines en plat (avec oignon, poivron, tomate, origan, ail et huile d’olive), chocolat et biscuits aux amandes en dessert. C’est dire si à leur retour, nos amis en bavaient devant les bonnes odeurs qui embaumaient la cuisine.
Sur ce, il est très exactement 22h48. L’extinction des feux s’est faite il y a à peine 15 minutes, et j’entends déjà au moins 3 ronfleurs dont une machine de guerre 😴😴😴
Via Tolosana, jour 40 :
Sangüesa – Monreal
Petit détour par le bar ce matin, parce que lui seul offre la possibilité d’un déjeuner. Retour aux sources : pincho da tortilla, pane chocolate e cafè con leche.
Puis petit crochet par le distributeur de billets, et c’est parti, à 9h seulement, pour un trajet de 27km.
On quitte Sangüesa par la route, puis en passant derrière une fabrique de carton, avant de gravir la petite colline de Rocaforte.
Après ? Que des pistes et des sentiers bien tracés, à travers champs ou sous le couvert de jeunes sapinières.
Il en sera ainsi jusqu’à Izco, que j’imaginais franchement plus grand et plus animé que ça ! Un village endormi, pas un seul bar, aucune tienda. Je continuerai dépité jusqu’au prochain bled où je trouverai au moins une fontaine pour dîner et me désaltérer.
Ça sera ensuite une alternance de pistes, en béton ou gravier de craie blanche, à l’exception des 3 derniers kilomètres qui seront de toute beauté !
Une journée plutôt calme donc, durant laquelle, après être parti bon dernier avec Jean-Yves, je rattraperai Huguette et Michel, puis Annie et Eugène.
Une journée durant laquelle je m’empifrerai de mûres juteuses et sucrées..
Une journée où j’aurai la chance d’observer un envol de vautour. Mais est-ce une chance quand tu t’aperçois qu’ils commencent à tournoyer au dessus de toi ?
Une journée où juste avant mon arrivée, mon Chemin croisera celui d’une mante religieuse qui traverse juste devant moi. Fascinant insecte que j’ai la chance d’observer pour la seconde fois et qui m’interpelle quant à son intelligence et sa perception de l’environnement.
Enfin, au gîte et pour la dernière fois, l’équipe habituelle.
Demain, Puente la Reina. Fin du Chemin Aragonais et de manière plus étendue, de la voie d’Arles. Certains arrêtent quand d’autres continuent. Peu importe, nous nous somme liés d’amitié et c’est bien là la richesse première de ces Chemins.
On prendra ensemble notre repas au seul resto du village, histoire de marquer le coup, fêter nos rencontres et nos adieux par la même occasion, avec ce vain espoir que les contacts perdurent.
Trois bières, vino tinto et deux chupitos plus loin, on refait le monde au bar.
Notre retour au gîte à des allures de dernier voyage.
Mais ce Chemin n’a jamais de fin…
Via Tolosana, jour 41 :
Monreal – Puente la Reina
Pour des raisons indépendantes de ma volonté, il m’a été impossible de publier hier soir. Après le resto, dos canias et tres chupitos, il était 23h16 lorsque je me suis mis au lit et que j’ai commencé a écrire. Pour finalement me réveiller à minuit passé de quelques minutes, avec le téléphone posé sur mon ventre. J’ai du sombrer dans un vide spatio-temporelle, j’ai rien compris. Probablement terrassé par une longue journée de marche 😝😝
Et donc, « hier » matin, le ciel est chargé. Comme pour mieux souligner l’atmosphère des aurevoirs.
L’étape est longue, trop longue, et certains décident de la splitter en deux. Je fais donc mes adieux à Huguette et Michel, ainsi qu’à Annie et Eugène.
Ce soir, je retrouverai Jean-Yves le québécois, Marcel de Auch (j’avais oublié de vous parler de lui depuis avant-hier) et peut-être Dermot l’irlandais.
La journée ne sera qu’une alternance d’averses et d’éclaircies. A peine retirée la déperlante (pour les non-initiés, comprenez la veste style k-way mais plus légère et respirante) étouffante au moindre rayon de soleil qu’aussitôt il recommençait à tomber un petit crachin collant.
Un parcours agréable mais relativement fatiguant. De par sa longueur d’abord, 31km. Par sa configuration ensuite, avec sa première moitié sur un sentier étroit et profondément raviné qui ne fait que monter et descendre à flanc de colline, puis un long tronçon en bordure d’autoroute. La fin est à peine plus agréable, en empruntant un sentier agricole.
Heureusement que la chapelle d’Eunates, merveille mystérieuse de l’art roman, vient un peu relever le niveau.
Avant l’entrée à Puente la Reina…
En découvrant pour la seconde fois la statue du pèlerin à l’entrée de la ville, j’ai étonnamment ressenti presque la même émotion qu’en débarquant sur la Praza do Obradoiro à Santiago. Probablement parce que cela marque la fin d’un Chemin, de « mon » Chemin de cette année.
« Y esde aqui todos los Caminos a Santiago se hacen uno solo » : c’est ici que tous les Chemins de Santiago ne font plus qu’un.
Je fais mes premiers pas dans la calle Mayor avec des larmes plein les yeux. Ça y est, j’y suis. Après moult difficultés, après la soif, la chaleur et les douleurs, après avoir tant douté, j’y suis arrivé ! Ce fut jusqu’à présent un de mes plus difficiles Chemins, mais peut-être un des plus beau.
J’ai marché une bonne partie de la matinée en jouant à saute-mouton avec Jean-Yves et Dermot. J’arriverai finalement second à Puente, même si ça n’est point une course.
L’albergue municipale des Frères Reparadores risquant d’être complète en fin de journée, nous avions exceptionnellement réservé une « privada ». Grand luxe à 15€ par personne pour une chambre privée de 4 lits. On s’amuse bien ensemble, on s’amuse presque comme des gamins, malgré nos âges qui s’étalent de 46 à 63 ans, et nous sommes ravis de partager cette dernière nuit.
On passera la soirée au resto… Et au chupitos da hierbas, ces petits shots de digestifs aromatisés.
On ne veut pas encore penser à demain matin. Mañana es mañana, comme on dit sur le Chemin : demain est un autre jour !
Camino Francés « al regresso », jour 42 :
Puente la Reina – Pamplona
Ne commencerai-je pas par vous conter ma mésaventure de cette nuit ? 3h40, une envie irrépressible de… Enfin bref, vous aurez compris. Sauf que je suis dans le lit du dessus, et que descendre, avec en plus des pieds fragiles, c’est toute une histoire.
Lit qui grince et qui barloque, je prends un milliers de précautions pour ne pas réveiller Jean-Yves qui dort en dessous.
Mais au moment d’atteindre l’avant-dernier échelon, je sens que ça coince. Horreur, malheur, la jambe droite de mon boxer s’était accrochée au premier montant du dessus. Me voilà suspendu à 3h40 du matin, dans une demi-pénombre, à 40cm du sol.
Je vous laisse imaginer la situation quand dans un ultime effort, j’ai fini par glisser après avoir quand même réussi à décrocher mon slip. L’honneur est sauf, mais j’ai réveillé tout le monde ! 😂😂
Dans notre chambre privée ce matin , c’est rire et bonne humeur qui priment. On est pourtant bien conscient qu’on vit nos derniers instants : Dermot rentre au pays en avion, Jean-Yves continue jusqu’à Fistera et Muxia, Marcel marche encore en sa compagnie jusque vendredi, et moi, je pars « al regresso », c’est-à-dire dans le sens contraire du flot des pèlerins.
On restera ensemble jusqu’à l’ultime délai qui nous est accordé. A 8h30, tout le monde dehors, on se retrouve un peu perdu sur le trottoir. Dermot part chercher son bus, pendant que j’accompagne Marcel et Jean-Yves jusqu’au « pont de la reine », voulu au XIème s. par la reine Mayor de Castilla qui en avait marre de voir les pèlerins de noyer en tentant de traverser la rivière.
Je les suivrai du regard jusqu’à ce qu’ils disparaissent de ma vue, avant de prendre une grande respiration et de tourner les talons. Quand il faut y aller, il faut y aller : à partir de ce jour, chaque pas me rapproche de chez moi et de ceux que j’aime 😍😍 !
Calle Mayor de Puente la Reina « Al regresso » : ma première expérience d’un chemin « à l’envers ». C’est étrange de croiser tout ces gens, de voir des faces et plus des fesses 😂😂
Je distribue les « Buen Camino » comme jamais je ne l’avais fait auparavant. La plupart me répond pareil, d’autres ne daignent même pas me regarder. Peu me diront « Buen regresso » ou « Buen volver ». Seuls trois me demanderont si je reviens de Santiago.
Quant à moi, je souris. Parce que je suis heureux pour eux de savoir ce qu’ils vont vivre. Parce que ce troisième pèlerinage me laissent à nouveau des émotions, des images, des visages et des paysages plein la tête.
Et je rêve déjà au quatrième… 😊😊
Camino Francés « al regresso », jour 43 :
Pamplona – Zubiri
L’immense albergue de Pamplona fonctionne avec une organisation quasi militaire.
Les lits sont attribués par ordre d’arrivée, l’agencement est hyper fonctionnel et les instructions sont données à la chaine.
Idem pour les horaires :
23h, extinction automatique des feux
6h, allumage automatique des mêmes feux
Les premiers s’agitent immédiatement. Limite c est déjà trop tard pour eux.
Les autres se retournent dans leurs lits et tentent de profiter des derniers instants de rêves.
Il est 7h lorsque je pose pied à terre.
Déjeuner en solitaire ce matin, je n’ai plus d’amis depuis hier. Seul un américain viendra me taper sur l’épaule pour me proposer le fond de son Yop.
8h, je passe par l’accueil de l’albergue pour avoir un plan de la ville. Parce que si dans le bon sens dans les grands centres urbains, c’est déjà pas toujours facile, à contresens, c’est franchement un peu compliqué.
Petit trajet. Je table pour une arrivée vers 13h, de quoi largement anticipé le flot des pèlerins en provenance de Roncesvalles qui risqueraient d’envahir l’albergue municipale.
Un joli trajet, avec bien entendu une sortie de ville et quelques passages par des routes, mais dans l’ensemble de beaux sentiers ombragés qui longent l’Arga, la rivière locale.
Rien de bien précis à retenir du trajet. Des « Buen Camino » distribués à la pelle, quelques personnes intriguées par mon retour. Des lieux que je reconnais aussi. C’est fou comme 4 ans après, j’ai encore une image quasi photographique de ces endroits.
J’arrive à Zubiri comme prévu. Sauf que justement, rien ne va se passer comme prévu.
L’albergue municipale est fermée pour travaux ! Pourquoi donc faire des travaux en septembre alors que la saison bat son plein et que septembre est le mois le plus fréquenté ???
Résultats : les albergues privées et les pensiòn prisent d’assaut ! Les taxi font la navette vers les villages voisins, parfois même jusqu’à Pamplona.
Tout est complet, à moins de faire la file et d’espérer.
Première tentative, je me fais remballer sans ménagement.
A la deuxième, pendant que j’étais dans la file, je discute avec un couple de français auquel vient se joindre une dame hollandaise qu’ils avaient rencontrée la veille.
Ils envisagent l’hôtel. Sur ce, mon cerveau ne fait qu’un tour et je propose à la dame de partager une chambre.
Et c’est ainsi qu’en moins de 2 minutes, je me retrouve à l’hôtel avec Lida, pensionnée hollandaise au look d’Annie Lennox sur le retour.
Après deux jours de marche, elle est épuisée et tellement soulagée d’avoir un lit et une douche qu’elle en est émue.
Elle n’en revient pas de la spontanéité, de l’entraide et de la solidarité qui existe sur le Chemin. Elle me confie que jamais ailleurs elle n’aurait accepté, et ici, sans même qu’on se connaisse, elle n’a pas hésité une seule seconde.
Il me reste à « tuer » le temps pour l’après-midi. Zubiri, c’est pas Pamplona. Il n’y a rien à faire ici que d’attendre en s’installant le long de la rivière en trempant ses pieds dans l’eau fraîche.
Jusqu’à l’heure du souper, où Lida réapparaît de je ne sais où. On ira manger ensemble le menu del peregrino, soupe de lentilles en entrée et spareribs avec des frites en plat. Excellent !
Par contre, pas sûr que la soupe de lentilles soit un bon plan 💨💨💨
Camino Francés « al regresso », jour 44 :
Zubiri – Roncesvalles
Je ferai tout d’abord l’impasse sur une information sans importance : c’est aujourd’hui mon anniversaire 😂🍻🎂
Parlons maintenant de ma nuit « avec » Lida la hollandaise. Je ne sais pas si c’est habituel chez elle, si c’est le côté nature et un peu peace&love des hollandais, ou si c’est l’effet soupe de lentilles, mais punaise… Qu’est-ce qu’elle a farté toute la nuit ! C’est parce qu’elle était mince comme un haricot sec, sinon, j’aurai cru qu’elle se dégonflait 😂😂😂
Déjeuner pantagruélique ce matin à l’hôtel. Pour le prix, ils peuvent bien !!! On s’empiffre de croissants, toasts à la confiture, madeleines, yaourt et café. De quoi tenir toute la journée !
Il n’est que 8h15 quand on prend le départ. On passe le pont médiéval ensemble, le temps de se dire au revoir puis elle prend à droite pendant que j’attaque la montée de gauche.
J’avais bien souvenir, il y a 4 ans, d’une descente raide et glissante. Ben dans l’autre sens, ça grimpe aussi sec !!!
Sacrée mise en jambes dans une fraîcheur relative. Mais une belle forêt entrecoupée de magnifiques vues.
Mis à part ça, un parcours classique, qui monte et qui descend sans surprise, quasiment pas de routes, mais par contre pas mal de sentiers bétonnés.
Côté rencontre, des centaines de pèlerins, auxquels je dis à chaque fois de manière claire le classique « Buen Camino », parfois précèdé d’un « Buenas dias » ou d’un simple « Buenas ». Parfois suivi d’un « Gracias » quand on daigne me répondre.
Parce que dans l’autre sens, ils ne sont pas tous commodes. Pour la plupart, ils n’en sont qu’à leurs premiers jours de marche, et rien qu’à leurs têtes et leurs démarches, je peux presque dénombrer le nombre d’ampoules et où ils ont mal.
Et puis il y a aussi des différences en fonction des nationalités. Pas de généralités, bien sûr, mais les italiens sont plutôt dédaigneux, jusqu’à parfois continuer à parler entre eux sans même me remarquer. Les asiatiques au sens large sont soit très souriants et polis, soit complètement renfermés sur leurs douleurs. Les espagnols se montrent curieux d’un gars qui va « Al contrario ». Les autres, allemands, hollandais, anglophones de tout bords, pays de l’est Amérique du Sud et toutes autres nationalités confondues, c’est mitigés mais pour la plupart agréable.
Le summum, et je ne vais pas me faire que des amis, ce sont les français 😂😂😂
Plutôt joviales pour la plupart, je vous rassure, mais parfois d’un comique ridicule.
Il y a d’abord les franco-français qui ne prétendent pas parler une autre langue que le français et ne feront jamais le moindre effort. Il y en a même qui, et je vous jure que c’est vrai pour l’avoir vécu à plusieurs reprises, s’offusquent que leur interlocuteur ne parle pas français ou ne comprend pas ce qu’ils demandent.
Mais les plus drôles, ce sont ceux qui tentent quand même de faire l’effort de s’intégrer un minimum et qui me répondent » Bouweno camino », ou « Moutcho gracias ». Bel effort, on y presque, c’est bien… 😂😂
Il est 14h quand j’arrive à l’immense albergue de Roncesvalles. Première fois que je dors ici en fait, puisqu’il y a 4 ans, faute de place, nous avions été relégués dans une prairie avec des containers, style camp de réfugiés.
L’organisation n’a rien à envier à celle de Pamplona. Une équipe de 9 bénévoles, tous hollandais, s’occupent de tout, de l’entretien à l’accueil en passant par la gestion des machines à laver et l’orientation des pèlerins un peu perdu dans cette imposant bâtiment.
Pour l’anecdote, alors que nous étions une dizaine dans le bureau d’inscription, un hospitalier nous aide à remplir le formulaire. Et je vous le donne en mille, il remarque ma date de naissance, et bim, voilà les dix pèlerins et les trois hospitaliers présents qui entament en chœur un happy birthdayyyy.
Le dortoir est organisé en alcôve de 4 lits. Je me retrouve avec Alberto, portugais, Santiago (ça ne s’invente pas !), argentin, et.. une américaine que je l’appelerai Chuppa Chups, parce que j’ai absolument pas compris son prénom et que c’est ce qui s’en rapproche le plus.
Menu del Peregrino pour mon annif. J’aurai mieux fait de m’abstenir : soupe aux pois froide et/ou macaroni sauce tomate secs et fades en entrée. Et en plat, quelques frites maigrichonnes avec une truite tellement cuite qu’ils avaient dû l’oublier au fond du four.
Avec comme dessert un corneto vanille à moitié fondu.
Il est 22h37, et la nuit commence mal. Un mauvais coucheur qui s’énerve parce qu’il y a quelques ronfleurs et qui râle à voix haute en italien. Il commence mal ses expériences en albergue celui-là… 😂😂
Camino Francés « al regresso », jour 45 :
Roncesvalles – Saint-Jean-Pied-de-Port
Voulez-vous la suite de l’histoire d’hier avec l’italien irascible ? Le dortoir de Roncesvalles est en fait séparé en une multitude d’alcôves de 4 lits. Et il était en fait situé dans l’alcôve à côté de la mienne. Après 10 minutes de râleries en italien, il a d’abord commencé à tambouriner sur les cloisons. Ensuite, il s’est carrément levé pour passer d’une alcôve à l’autre pour voir qui ronflait. Et quand il est arrivé dans celle où je me trouvais, je lui ai gentiment expliqué en français qu’il avait intérêt à se calmer. Et quand un barbu dans la pénombre te dit de baisser d’un ton, tu retournes te coucher et tu la boucles. Point barre, bonne nuit ! 😂😂😂
A l’albergue municipale de Roncesvalles, réveil original à 6h du matin par des chants grégorien.
Tout le monde s’agite comme au départ d’un grand prix de Formule Un, pendant que Bibi se retourne dans son lit et attend que la foule s’en aille.
A 8h, sur les conseils de l’hospitalier, je pars par la route d’Ibañate, bien moins raide que le chemin par les bois, dont je garde un sacré souvenir de la descente en 2015.
Mwouai, pas sûr que ce soit beaucoup moins raide, mais ça a tout de même l’avantage d’offrir une magnifique vue sur la vallée et le monastère de Roncesvalles.
Je me régale des chevaux et des moutons en liberté qui croisent ma route au son de leurs cloches.
Ça grimpe ainsi jusqu’au col de Lepoeder, avant d’emprunter un large sentier qui fait des vagues le long des flancs de montagnes.
Je retrouve les vues qui m’avaient déjà tant ébloui à l’époque. J’en profiterai même pour faire encore une pause à la vierge de Biakori et pique-niquer dans un décor de rêve.
Puis ça sera l’irrémédiable descente vers Saint-Jean-Pied-de-Port, sa foule hétéroclite et ses touristes.
Je savoure ces derniers kilomètres, même si ça ne sont pas les plus chouettes. Parce qu’après, une fois arrivé, il faudra se renseigner et organiser le retour…
Pas ou peu de rencontres aujourd’hui. Je dois avoir croiser 3 ou 400 personnes, distribué autant de Buen Camino, et seulement 3 ou 4 qui se sont intrigués de ma présence dans l’autre sens. Deux personnes me diront en boutade que « Santiago, c’est par là ». Et un groupe de français, ignorant que je les comprenais, mettra même en doute ma démarche, prétextant qu’il est impossible de revenir, que je suis certainement un randonneur lambda en ballade dans la région. Je remettrai bien vite leur pendule à l’heure 😉👣👣
Ma rencontre du jour se fera à l’albergue, en la personne de Yves.
Étonnant personnage que je trouve affairé sur son mini clavier connecté à son smartphone. Septante-six ans, il boucle cette année son 11ème Chemin, après avoir emprunté le camino Portuguese et le Francés à contresens également. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’hospitalier nous a mis en contact.
Un homme captivant qui retranscrit au quotidien ses aventures et ses rencontres sur le Chemin.
Nous passerons la soirée ensemble, d’abord au bar, ensuite au restaurant. Nos échanges, qui semblaient être au départ une sorte d’interview, vont vite devenir un partage d’idées et d’avis sur le Chemin, ses anecdotes et ses rencontres, sa population, le hasard qui n’en est pas, ces anges qu’on croise et qui nous aident.
Nul doute que le souvenir de sa personne s’inscrira dans ma mémoire affective.
Voie d’Arles + via Aragonese + Camino Francés « Al regresso », jour 46, der des der :
Cette fois, c’est la fin.
Je me suis levé ce matin avec ce sentiment étrange de ne pas devoir partir.
Tous les matins, jour après jour depuis 45 jours, comme à chaque nouveau départ, je m’y étais peu à peu habitué. Mes pieds m’ont porté. Je les ai supportés. Ils m’en ont fait voir, mais je les ai choyés.
Ensemble, pas après pas, chacun voulant à chaque enjambée être le premier, nous avons avancé.
Par monts et par vaux, du plus haut des cols jusqu’au creux des vallées, j’ai sué, parfois pleuré, mais jamais regretté.
Peu importe les douleurs et les difficultés, elles seront vite oubliées. Il ne me reste en tête que des milliers de paysages et des rencontres.
Chaque voyage est un passage, chaque pèlerinage est une aventure pour laquelle je resignerai à deux mains les yeux fermés.
J’ai erré aujourd’hui sans trop savoir où aller. Je passais et repassais sans cesse dans les mêmes rues, j’avançais à pas de souris, je m’arrêtais pour simplement regarder ou écouter ces gens qui me semblaient si distants.
Ce père qui explique à sa fille qui sont ces gens qui marchent tant.
Ce groupe de pensionnés où un pseudo-leader explique maladroitement le pèlerinage.
Ce commerçant, qui prêche pour sa paroisse et raconte à qui veut l’entendre qu’ici se rejoignent TOUS les Chemins français. Hé ben non, Grand, pas TOUS, désolé, revoie ta copie !
Ces pèlerins, enfin, desquels peu se détachent en ayant déjà bien marché avant d’arriver ici.
Certains le font par petits tronçons et partent d’ici cette année. Ils savent déjà un prince que c’est et sont impatients de continuer.
D’autres, la majorité, arrivent avec chaussures neuves, sacs à dos blinquants, sticks de marche qui font click-click avec encore l’étiquette de prix, quand ils ne sont pas tout fier d’avoir acheté un « vrai » bourdon made in China à prix plein au même marchant cité plus haut.
Enfin, il y a ceux qu’on appelle entre nous les tourigrinos, cet amalgame de touriste teinté d’une larme de saveur pèlerine, un peu comme une huile à la truffe bon marché qui perd sa saveur dès les premiers instants.
On pourrait discuter sans fin sur cette approche du pèlerinage. On ne peut pas leur en vouloir de profiter d’un Chemin et d’une infrastructure, même si parfois leurs comportements laissent à désirer. On peut juste regretter qu’ils passent peut-être à côté de l’essentiel : le lâcher-prise, le dépassement de soi, les rencontres et le retour à l’essentiel.
J’en ai même croisée une qui avait déboursé une somme folle pour marcher 15 jours, avec portage de sac et hôtels 3 étoiles minimum réservés à chaque étape. C’est tout juste si on ne lui avait pas fourni un bouton d’appel d’urgence en cas d’ampoule 😂😂😂
Enfin bref…
Moi, je suis là, seul, au milieu de tout ça. Aucun d’eux ne sait qui je suis et ce que j’ai accompli, mais peu importe, ça n’est pas un exploit et je n’en tire aucune fierté. Je m’amuse juste à les observer.
L’ambiance de l’albergue municipale est très « studieuse », presque monacale. Chacun est dans son coin, à lire son guide, consulter son smartphone ou son gps. Certains révisent leur matos, ou s’entraînent à replier leur sac.
A l’exception des amis venus ensemble, personne ne parle à personne.
Demain et les jours d’après, ceux qui auront eu la force de continuer après la dure épreuve de l’étape jusqu’à Roncesvalles, vont tout doucement se laisser imprégner par l’esprit du Chemin qui va ouvrir leurs âmes. Des amitiés vont naître, des rires et des discussions animeront alors les chambrées.
Qu’ils découvrent, qu’ils fassent « leurs » Chemins. C’est tout ce que je leur souhaite…
Buen Camino, pèlerins en devenir, je vous envie. Le premier Chemin est le plus beau, mais il est aussi une drogue dont jamais on ne se sèvre…
Retour au bercail.
A moins d’y consacrer sa vie et de cheminer sans fin, chaque Chemin a une fin…
Après 45 jours de marche et un peu plus de 1000 kilomètres, après être resté en stand by pendant 2 jours à Saint-Jean-Pied-de-Port pour organiser mon retour, c’est dans un mélange d’émotions que je me suis lentement dirigé vers la gare.
Le cœur gros d’une aventure qui se termine, la tristesse de quitter cet Esprit que j’aime tant, en duel avec la joie et l’impatience de retrouver ceux que j’aime et qui me manquent tout autant.
Ce train m’emmène jusque Hendaye, d’où je prendrai un Flixbus, direction Bruxelles.
Quatorze heures à se contorsionner, serrés sur des sièges inconfortables. Mais bon, pour 48€, on ne va pas trop se plaindre. En train, c’était 7 fois plus cher !!!
Voyage de nuit, sans encombre, à discuter avec ma voisine de banquette pendant qu’elle tricote, entrecoupé de sommeils légers qui nous occasionnent plus de courbatures que de repos.
Le car nous débarque à la gare de Bruxelles-Nord, en pleine heure de pointe matinale. Je suis pour la première fois depuis longtemps confronté à ces gens qui n’ont pas le temps, qui courent, qui râlent parce que toi, tu ne comprends pas. J’avance à deux à l’heure. Je ne sens peut-être pas la rose, j’ai un gros sac à dos et un bourdon. Je fais tâche, je ne suis plus à ma place.
Il me faudra patienter près d’une heure avant d’avoir mon train qui fait la liaison Bruxelles-Liège. Une heure à tenter de m’acclimater.
Aucun d’eux ne m’adressera à la parole, pas même un regard. Tout au plus un soupir d’exaspération parce que j’interfère dans leurs habitudes, parce que je les gêne dans leurs mondes.
Il faudra que je sois dans le train pour retrouver un semblant de quiétude. Mais les paysages défilent à une vitesse vertigineuse. Moi qui m’étais habitué au rythme de mes pas à me laisser imprégner de chaque vue, j’en ai le tournis.
Liege-Guillemins, gare terminus. Je suis à 2km de chez moi. Je les ferais à pied. Pas comme un dessert, plutôt comme une pastille Vichy qui me fera digérer le retour à la vraie vie.
Voilà, c’est fait. Je retrouve la maison telle que je l’avais laissée. Une montagne de courriers en plus, dur rappel à la réalité.
Mais je vais aussi retrouver tout ceux que j’avais laissés 6 semaines plus tôt sur le quai de la gare. Et ça, c’est que du bonheur !
Il me reste à vous dire merci.
Merci de m’avoir suivi, lu, liké, commenté.
Merci de m’avoir soutenu et encouragé, merci pour vos témoignages et vos conseils.
Merci à ceux que j’ai croisés et qui m’ont accueilli, merci à ceux que j’ai croisés et avec qui j’ai marché.
Indépendamment de la Voie choisie, chaque Chemin est différent. Il dépend de l’état d’esprit et de la saison, mais il dépend surtout de chacun de vous qui font le Chemin…