29/04/2015, jour 46 : Mussidan – Sainte-Foy-la-Grande

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Ambiance colonie de vacances, ce matin, à Mussidan ! Francis, fraichement débarqué dans la bande, se demande un peu où il est tombé, entre Henri qui chante, Dannis qui rit, et Patrick et moi qui ne sommes pas en reste pour un bon mot. Mais c’est ainsi que nous fonctionnons. On rassemble nos affaires dans la bonne humeur et du mieux qu’on peut dans l’espace exigu de la chambre. Les caleçons et les chaussettes volent à travers la pièce, chacun faisant attention à récupérer ses effets. Puis un par un, on emprunte l’escalier aussi raide qu’étroit pour descendre au rez-de-chaussée et entamer un déjeuner de roi ! Au menu ? De la brioche ! Et croyez-nous bien, après notre mésaventure d’hier et nos chiens chapardeurs, on va la déguster.

Elle trône au centre de la table, si lisse et si brillante qu’on en devine le côté moelleux et sucré ! Le maestro du cappuccino est déjà à pied d’œuvre. Henri sort le beurre du frigo. Dannis prépare cinq bols, parce qu’en France, on boit le café dans un bol ! J’aligne les couteaux et les cuillères, alors que Francis nous sort des petites boites de pâté crème. Nos restes de baguette viendront faire l’appoint d’une brioche qu’on aura vite fait de sacrifier sur l’autel de la gourmandise. Les blagues potaches sont de sortie, tant et si bien que Francis d’habitude si matinal d’après ses dires, tarde à se mettre en route.

C’est d’ailleurs encore une fois Henri et Dannis qui partiront ensemble dès le repas terminé. Pendant que le bourguignon règle sa montre connectée, le hollandais ajuste le laçage de ses chaussures, et les voilà partis. Les regarder s’éloigner est un digne d’une sortie de scène de Zavatta, entre l’un au pas chaloupé, et l’autre qui semble monté sur ressorts. Francis, quant à lui, aime décidément notre compagnie, et après avoir remis le gîte en état, nous partons tous les trois ensemble, lui, Patrick et moi.

La conversation s’engage sur nos vies respectives, sans vraiment s’arrêter sur un sujet précis. Le soleil est généreux, même si il ne fait pas encore très très chaud. Les paysages sont grandioses, avec des perspectives parfois hallucinantes.  Je ne suis pas calé en géographie française, mais je sais qu’on se dirige lentement vers le département des Landes, et que donc, forcément, ça s’aplanit tout doucement. Les forêts de feuillus font peu à peu place aux pins maritimes, les grillons remplacent le chant des alouettes, et comme je l’avais déjà constaté hier, mais c’est encore plus flagrant aujourd’hui, des arums poussent un peu partout.

Un beau trajet, donc, mais pas forcément des plus agréable car presqu’exclusivement composé d’asphalte. Et un long trajet : 34 km, si nous voulons rejoindre Sainte-Foy-la-Grande pour retrouver nos comparses ! Trente-quatre, c’est beaucoup pour moi et mes petits petons. Même si ils s’y sont habitué, j’ai appris leurs limites, et elles sont clairement définies : jusqu’à 27/28, ça va, entre 28 et 35, c’est dur. Au delà, cela devient très pénible… Mais je suis entrainé en ce début de journée par mes deux amis qui allongent le pas, à tel point que parfois, je les laisse prendre un peu d’avance, soucieux aussi de retrouver de temps en temps un peu de calme.

Aux alentours de midi, nous sommes rejoints pas Henri. Un nouveau mystère du Chemin, puisque parti un peu avant nous, nous ne l’avions pourtant pas dépassé. S’était-il encore égaré, ou a-t-il profité d’un bar pour se reposer ? A moins qu’il ne se soit volontairement caché pour laisser un présent à Dame Nature. Quoiqu’il en soit, Dannis aux jambes interminables semble aller trop vite pour lui, et il n’a pas tenu la distance. Qu’importe finalement, il est heureux de nous retrouver, et après le dîner, c’est en compagnie de Francis qu’il continuera son Chemin d’un pas décidé, chaloupé, mais décidé, avec ses bâtons de compétition brinquebalants au bout des bras.

Je reste donc avec Patrick, qui devient au fil des jours mon fidèle comparse. On partage énormément de choses, lui et moi. De confidences en confidences, on commence à bien se connaître, et à connaître nos vies. Et finalement, on se rend compte que dans le miroir de l’autre, on trouve peut-être des réponses à notre propre existence. Nos silences ont d’ailleurs autant d’importance que nos paroles : ils permettent ce temps de réflexion et d’assimilation qui fait écho à nos actes manqués par rapport à un travail, des enfants, un père, une mère ou une compagne.

Ça n’est qu’à quelques kilomètres de l’arrivée que la route fait enfin place à quelques sentiers. Il était temps : je commence sérieusement à souffrir, à tel point que je ne parviens plus à suivre la cadence que Patrick m’impose bien malgré lui. Je ralentis même franchement le rythme, et je le laisse partir loin devant pour profiter pleinement de la fraicheur des vignobles que nous traversons et de la douceur du tapis d’herbe qui recouvre les allées. Son absence et l’éloignement de toute habitation me plonge soudain dans un profond spleen qu’un seul panneau suffira à nourrir. J’ai tellement de bonheur à être ici, tout est si facile, si paisible. Les relations aux autres et à la nature sont si naturelles. Pourquoi donc nos vies que l’on dit moderne, pourquoi donc toutes ces facilités, ces technologies, ce confort que nous nous créons, nous rendent finalement la vie si compliquée ? Pourquoi nous enfermons-nous dans une situation, pourquoi nous rendons-nous si dépendant ? Si le monde était si simple que la terre et la mer, pourquoi se poser milles questions, pour finalement vivre de jalousies et de rancœurs, là où il n’y a qu’amour et bonheur ? Ne serait-ce pas plus facile de se laisser simplement porter par ce que nous vivons au quotidien, sans jamais se retourner ? 

J’avance au radar sans vraiment me rendre compte que Sainte-Foy-la-Grande est en vue. Nichée au fond d’un vallon sur les berges de la Dordogne, la descente parsemée de cailloux cachés par les hautes herbes est pour moi difficile et douloureuse. J’ai mal aux pieds, je suis fatigué, je n’ai plus qu’une seule hâte, celle d’arriver. Les kilomètres semblent interminables lorsqu’on en a marre. Et après avoir franchi le pont qui me mène au centre-ville, alors que je pensais toucher au but, je suis face à une longue rue sans fin. Je ne calcule plus rien : l’église ne m’appelle pas, le marché ne me parle pas, même les passants m’agacent sur cet étroit trottoir. Heureusement que je croise enfin Patrick venu à ma rencontre, pour m’indiquer que la maison n’est plus très loin.

Notre guide renseignait : « Gite pour personnes de passage, chambre pèlerin et sdf distinctes, s’adresser à l’accueil de l’hôpital ».  C’est en fait à chaque fois la surprise lorsqu’on arrive à l’étape. Pour autant qu’on trouve un logement, on ne sait en effet jamais à quelle enseigne nous serons logés. Et c’est parfois très surprenant : certains accueil familiaux qu’on pourrait penser plus luxueux, sont parfois à la limite de l’hospitalité et de l’insalubrité, alors que d’autres, municipaux ou associatifs, avec peu de moyens, sont des modèles de générosité et de confort ! Mais dans le cas qui nous occupe, un accueil géré par l’hôpital, réunissant pèlerins et sdf sous le même toit, ça nous laissait un peu pantois. Non pas que la promiscuité nous effraye, mais on se demande un peu où on va tomber.

Le gîte de Sainte-Foy se situe en fait dans une petite maison individuelle, tout ce qu’il y a de plus discret et anonyme. La douche est dans un minuscule réduit au fond de la cour, la cuisine se limite à sa plus simple expression, mais la préposée est d’une gentillesse à tout se faire pardonner ! Les chambres sont propres, chacune comprenant deux lits simples avec des draps et des couvertures. Nous nous retrouvons à quatre, Francis ayant sans aucun doute continué à marcher jusqu’à la nuit tombée. Nous ne le reverrons jamais.

Dannis et Henri partent repérer les lieux, tandis que Patrick et moi en profitons pour nous installer, et vaquer au rituel quotidien de la douche  et des lessives. A leur retour, nous sommes propres comme des sous neufs, prêt à écouter leur compte-rendu. Guère plus grande que Mussidan, Sainte-Foy est en pourtant tout aussi bien équipé. De nombreux restaurants, bars et commerces divers jalonnent la rue principale ainsi que les carrefours aux alentours. Ils ont d’ailleurs déjà jeté leur dévolu sur un bar-restaurant à deux pas de notre hébergement. Moi qui n’en mène pas large niveau panards, ça me convient bien ! C’est donc voté à l’unanimité et, au diable l’avarice, on est bien décidé ce soir à se faire plaisir !

Bon choix, les amis ! Le bar est bien achalandé, les deux jeunes filles au comptoir sont charmantes, le cadre est chaleureux, à moins que ça ne soit l’inverse ! La carte offre un choix varié de hamburgers, plats de brasserie, et spécialité de la maison : pomme de terre garnie. Il est cependant un peu tôt pour s’attabler, mais qu’à cela ne tienne, on en profite pour prendre un apéro et une assiette du terroir. Dju, que c’est bon ! Dannis se prend une Leffe, Henri, plus sage, opte pour un café. Je fais découvrir à Patrick la Kwak et son verre particulier, avec le secret espoir de le voir s’en mettre plein le nez. Il n’en sera cependant rien, il avait deviné mon dessein.

Comme à l’accoutumée, on fait le bilan de la journée. Les paysages, les difficultés, la longueur, surtout, qui fut pour moi un réel handicap. Puis cette entrée dans la ville, le gîte un peu spartiate mais tellement agréable. La première bière se laisse boire, la seconde nous monte un peu à la tête, on rit, surtout Patrick, plutôt habitué au vin qu’au jus de houblon ! La serveuse se joint à nous par dessus son comptoir, intriguée par notre groupe hétéroclite mais si soudé. On lui fait un peu de l’œil sans ambages, elle s’en amuse et rentre bien volontiers dans le jeu. Comme quoi, la vie est si simple…

Quant enfin la cuisine ouvre, nous changeons de salle pour passer à table. On optera tous pour la spécialité maison, mais chacun avec un goût différent. Henri et Dannis choisiront celle au foie gras, Patrick préfèrera celle au magret fumé. Quant à moi, ça sera une campagnarde, garnie de lardons et de champignons. Le tout arrosé d’un petit vin qui caresse le palais. Un vrai régal, qui nous change de nos repas concoctés au plus simple dans nos cuisines rudimentaires.

Lorsque nous sortons enfin, il fait déjà presque nuit. Enivré d’alcool et de bien-être, on hésite à rentrer ou à prolonger encore un peu ce moment. Se faire ainsi servir avec tant de sourires, profiter d’un lâcher-prise, être entouré d’amis, rire et parler sans être jugé, pouvoir se confier, ce sont des instants privilégiés. Nous en sommes conscients, nous qui avions expérimenté la solitude pour partager maintenant ce Chemin. On se rend bien compte aussi que ce qu’on vit ici est unique, et on ne peut encore imaginer que tout ça aura un jour une fin. Alors, on rentre lentement, on se souhaite une bonne nuit, et on s’endort avec la certitude que demain sera différent mais toujours aussi bien.

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© Luc BALTHASART, 25/01/2018

2 réflexions sur « 29/04/2015, jour 46 : Mussidan – Sainte-Foy-la-Grande »

  1. Tout sauf la vie moderne, à te lire ( avec grand plaisir), j’ai l’impression de ressentir le silence et le calme, des moments de mon enfance des années 60 et début 70!

    1. Bonjour Marc,

      Le silence, le calme, la nature, la simplicité des relations aux autres, mais aussi et surtout, apprendre à s’écouter, vivre à son rythme, se respecter.
      Tu as peut-être raison, je suis aussi nostalgique du temps où, enfant, je pouvais prendre mon temps, où on pouvait jouer sur le seuil de la maison sans crainte, se promener en forêt, explorer, expérimenter, en deux mot : vivre simplement !

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