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C’est avec une petite pointe de regret que je quitte Déols. Une chouette ville doublée d’un chouette gîte, je serais bien resté ici quelques jours. Mais je n’ai rien à y faire. Je n’ai pas à me reposer, et la règle qui prévaut interdit de toute façon, sauf autorisation exceptionnelle, de rester plus d’une nuit dans un gîte. Direction donc Châteauroux et sa circulation dantesque en cette heure de pointe. C’est du moins l’impression que j’en ai, moi qui vis au rythme de mes pas, plus habitué à la nature et aux bois qu’à ces gens pressés. Je prendrai tout de même le temps de visiter. Tant qu’à faire d’être ici, il serait dommage de ne pas découvrir quelques coins cachés et d’en garder un souvenir.
Châteauroux est une grosse ville à la foule anonyme. Je passe de rue en rue en évitant les voitures, je découvre deux belles églises, ainsi qu’un magnifique château, dont je ne pourrais que deviner la présence sans jamais réellement l’apercevoir. Le tour est vite bouclé, je n’ai vraiment pas l’intention de m’attarder. Les promesses de la pharmacienne étant tenues au-delà de toute espérance, mon œil de perdrix ne me fait déjà plus du tout souffrir, et j’ai donc l’intention aujourd’hui de bien avancer.
La sortie de Châteauroux ne se démarque pas des autres banlieues. Des rues monotones qui semblent interminables, des voitures et des boulevards à traverser. Je ne me sens réellement pas à ma place. Dans ces conditions, j’avance sans état d’âme, n’aspirant qu’à retrouver la quiétude d’un champ ou d’une forêt. Mais je n’y suis pas encore. D’autant qu’arrivé au croisement avec la rocade de contournement de la ville, je me rends compte que j’ai suivi la voie principale et bien balisée, alors que je souhaitais emprunter un itinéraire bis bien plus bucolique. J’en serai quitte pour deux kilomètres à longer la voie rapide, mais c’est à ce prix que je pourrai enfin m’éloigner de toute civilisation.
La forêt de Gireugne sera finalement un très bon choix. Et même si plus d’une fois, j’hésiterai au point de sortir ma boussole, à aucun moment, je ne le regretterai. J’ai de nouveau ici la sensation que le Chemin m’appartient. Je suis seul, perdu, isolé, pas un promeneur, ni le moindre cavalier pour troubler mon bonheur. Je n’entends que le bruit de mes pas et le chant des oiseaux. Je ne comprendrai d’ailleurs jamais ceux qui marchent avec des écouteurs vissés à leurs oreilles. Savent-ils seulement écouter?
Sur une journée de solitude sans le moindre accroc, je n’ai pas grand chose à raconter. Baigné de parfums et de couleurs, je me laisse juste imprégner par mes sens. Je croise quelques grenouilles que je ne peux m’empêcher de fusiller du regard en mémoire de mon dernier bivouac. Une grosse ferme ou un château isolé vient parfois briser un peu le charme d’une nature si pas sauvage, pour le moins préservée. En dehors de cela, le soleil me rappelle que je descends vers le sud, et même si le ciel est aujourd’hui légèrement voilé, la température ne cesse d’augmenter.
A la mi-journée, le trajet jusqu’ici facile et agréable m’invite à boucler l’étape jusqu’à Argenton-sur-Creuse. Plus de trente-cinq kilomètres, mais puisque mes pieds me le permettent et que les paysages ne varient guère, autant en profiter pour aller le plus loin possible. Je téléphone donc à la mairie pour m’informer sur la possibilité de squatter le camping municipal. Situé en plein centre ville, juste derrière la gendarmerie, ça serait en effet pour moi un emplacement idéal. Je sais pertinemment que la saison n’est pas encore ouverte, et que par conséquent les sanitaires sont fermés, mais peu importe, j’aurai au moins un terrain plat et bien entretenu. Autorisation en poche, il ne me reste plus qu’à avaler du sentier pour arriver avant la nuit.
Ce que je n’avais pas du tout calculé, c’est que j’allais justement aujourd’hui m’engager dans la Creuse. Et ce dont on ne m’avait pas encore prévenu, c’est que la Creuse, elle creuse ! Aux plateaux champenois avaient succédées les pleines arides de la Marne. Je m’étais habitué à ces reliefs peu marqués, et je pensais donc finir ma journée sans difficulté. Sauf que voilà: de vallons en vallées, j’allais vite me retrouver dans des paysages beaucoup plus escarpés. Les descentes se font périlleuses, les montées m’épuisent, et même si les paysages continuent à être très agréables, il n’en reste pas moins que c’est exténué que j’arriverai à Argenton-sur-Creuse en fin de journée.
Mais alors que je pensais trouver le camping en plein centre-ville, j’ai la désagréable surprise de constater qu’une erreur s’était glissée dans mon guide. J’ai encore deux kilomètres à marcher, deux kilomètre à m’éloigner du Chemin, que je devrais refaire demain en sens inverse. J’envisage un temps de continuer et de sortir de la ville, dans l’espoir de trouver un champ accueillant. Mais c’en est trop pour moi, je suis au bout de mes forces. Désespéré, désemparé, je cherche alors un endroit où me poser, un terrain plat, un coin reculé, un parc, un terrain de foot, le long de l’eau, peut-être. Je cherche mais ne trouve point.
En désespoir de cause, j’interpelle une jeune femme occupée à surveiller ses enfants sur la devanture de sa maison. C’est une rue calme, un petit cul-de-sac tranquille. Je lui explique qui je suis, d’où je viens. Je lui dis qu’aujourd’hui, je n’en peux plus, que je suis fatigué, que je commence à avoir mal au pied, que je n’aspire qu’à me reposer. Connaîtrait-elle simplement un endroit? Bien sûr, me répond-elle, venez donc dans mon jardin !
Suis-je en train de rêver? A moi, pèlerin hirsute, parfait inconnu, peut-être peu recommandable, qu’en sait-elle?, elle propose de dormir au pied de sa maison. J’en avais les larmes aux yeux. Au mieux avais-je espéré qu’elle m’indique où aller, pelle aurait peut-être même accepté de remplir ma bouteille d’eau, mais je n’aurais jamais imaginé qu’elle puisse m’inviter ! Je n’étais pourtant pas au bout de mes surprises.
Alors que nous poursuivions notre conversation, et que je répondais à ses nombreuses interrogations sur le Chemin, nous en venons justement à mes nuits sous la tente. Toute à ses réflexions, elle me fait comprendre qu’il est finalement hors de question qu’elle me laisse dormir dehors. Les nuits sont encore bien trop fraîches, et j’ai beau lui expliquer que j’avais connu bien pire, que j’avais survécu à des nuits à quatre degrés en dessous de zéro, elle n’en démordait pas. Son mari allait bientôt rentrer du travail, et elle est certaine qu’il partagerait son avis: ils ont à disposition une chambre d’ami, et ce soir, ils me feront l’honneur d’être leur ami !
C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Mélanie et Fabien. Ils vont m’accueillir chez eux, dans leur vaste maison de maître aux escaliers craquants et aux planchers grinçants, comme si nous nous étions toujours connu. De la manière la plus simple qui soit, ils vont m’offrir l’hospitalité dans son sens le plus noble: ouvrir la porte à un inconnu, sans crainte, ni arrière pensée, dans le simple but de l’aider.
Fiers de leur région, et arguant de mon statut de Belge en perdition, ils se feront également un plaisir de me faire goûter en apéritif une bière du Berry. Et pendant que Mélanie Cordon Bleu commence à nous concocter une petite salade et une omelette aux pommes de terre, j’en profite pour m’éclipser et leur rapporter une modeste bouteille de vin à partager. Tout est simple et naturel. Alors qu’il y a peu, je ne savais pas encore où dormir, alors que je pensais simplement m’isoler sous ma tente à l’abri des regards, je suis maintenant en leur bonne compagnie. Aujourd’hui plus que tout autre jour, la providence m’est venue en aide !
Ce soir, j’aurai ma chambre à moi, avec un grand lit et une vraie couette. J’aurai aussi une salle de bain, avec une douche bien chaude. J’aurai le chat, qui me tiendra compagnie tout au long de la nuit. Ce soir, je ne suis pas dans une famille d’accueil, encore moins dans un gîte, je ne suis pas non plus seul sous ma tente. Ce soir, je suis chez des amis !
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© Luc BALTHASART, 03/06/2016
Ah que voilà des gens sympathiques ! Le destin nous réserve bien des surprises…
Ayant commencé en haute Loire, les chemins plats sur mon itinéraire semblaient un mythe 😀 je ne sais pas si c’est pire ou mieux de commencer les dénivelés au bout de tant de jours. Au moins tu es déjà habitué à la marche 🙂 avec des dénivelés, l’arrivée en haut est d’autant plus satisfaisante.
Quand aux écouteurs j’avoue que c’est dommage même si je le faisait tout le temps.. C’est drôle ça me tente moins depuis quelques temps. Peut être est ce la le vrai détachement
Encore merci pour ton récit, vivement la suite !
J’avais déjà goûté à de sérieux dénivelés, même ici en Belgique, pourtant réputé « le plat pays » (si je tenais le con qui a chanté ça ! lol).
Je m’étais effectivement habitué aux terrains plats, et l’arrivée dans la Creuse contrastait terriblement par rapport aux jours précédents ! Mais au fil des jours, quelques soient les pentes (ou pas), on finit par s’en faire une raison. Il y avait juste des journées un peu plus éprouvantes que d’autres, mais à chaque fois, j’arrivais à son terme sans encombre.
Quant aux écouteurs, à ma décharge, je ne suis pas un grand amateur de musiques (même si fan inconditionnel de Goldman depuis ma plus tendre adolescence, et accessoirement, de beaucoup de chanteurs français aux textes qui me parlent), mais amateur ou non de musiques, je trouve dommage que, plongé dans la nature, on ne cherche pas à en ressentir tout l’essence, y compris les sons, du chant des oiseaux au bruissement du vent.
encore une belle rencontre de gens sympa
les vitraux sont magnifiques
Des gens plus que sympa, qui, sans l’ombre d’une hésitation, m’ont accueilli comme un ami !