20/03/2015, jour 6: Dinant – Hastière

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Ce matin au réveil, une douce odeur de café envahit la gentilhommière! Petite maison de poupée lovée au milieu d’un jardin arboré et bien entretenu, fut-elle en pain d’épice, on se croirait ici chez Hansel et  Gretel! Christiane n’est pourtant point ogresse prête à m’engraisser pour me dévorer, et Dany au petit soin me demande d’emblée ce matin si tout va bien.

Le temps de m’habiller et replier mes affaires, c’est une table généreusement dressée qui me tend les bras! Un délicieux pain dont le souvenir restera pour moi à l’instar de la madeleine pour Proust, une bonne couche de beurre et de la confiture à profusion qui dégouline de partout, me voila rassasié pour affronter l’inconnu qui m’attend! Car une fois déposé devant l’abbaye de Leffe, Dany s’en ira travailler, et je continuerai à m’enfoncer dans ces contrées mystérieuses, m’éloignant chaque jour d’avantage de mes habitudes et de moi-même!

Crédentiale tamponnée par la préposée au monastère, voilà que je me lance à l’assaut de la Citadelle! Chouette mise en jambe en ce matin grisâtre! Mais je commence à avoir l’habitude de ces échauffements quasi militaires. Du haut des crêtes, je surplombe maintenant Dinant…. Quelques zigzag à travers champs, quelques bois, et autant de rues plus loin, je découvre au coin d’un sentier un endroit que je ne connaissais pas: l’observatoire Copernic. Et il y a foule ce matin! Espérant une improbable éclaircie, moult astronomes amateurs se bousculent lunettes et télescopes braqués vers les nuages. Aujourd’hui est annoncé une éclipse partielle de soleil! Je ris gentiment dans ma barbe en les saluant! Plutôt qu’éclipse, c’est à cache-cache dont l’astre se joue. Et je doute fort qu’ils finissent par le trouver, les pauvres! Je ne m’attarderai pas, je n’ai pas ma place parmi eux, et j’ai surtout une énorme envie de…. Ah ben tiens, un vaste terrain parsemé de buissons s’ouvre devant moi! Juste le temps de trouver un coin caché afin d’y marquer mon territoire et laisser une trace de mon passage!

Soulagé et allégé, je redescends rejoindre la vallée. Si les Voies du Seigneur sont impénétrables, Saint Jacques n’est pas en reste! Alors qu’il eut été si simple de longer la Meuse, en ligne droite et plate, je plonge vers le rocher Bayard. Tant de détours et de dénivelés pour en arriver là? Allez donc comprendre! Je ne me plains pas, mais il est à parier que le coté bucolique prît parfois le pas sur le coté pratique ou historique  dans l’esprit des personnes ayant jalonné le tracé actuel.

En bord de Meuse, le paysage défile, parsemé de villas cossues. Du haut de sa terrasse, une dame âgée m’interpelle: « Monsieur? Monsieur? Vous allez à Saint Jacques? ». « Oui, Madame! ». « Bonne chance, Monsieur, bonne chance. Que Dieu vous garde! ». Quelques mètres plus loin, ce sont deux joggeuses en plein entrainement qui arrivent face à moi et me lance un tonitruant « Buen Camino! ». Mon premier « Buen Camino ». Nul doute qu’elles l’aient déjà parcouru, ce Chemin. Plus tout à fait randonneur, peut-être pas encore pèlerin, mais la sensation intrinsèque d’être reconnu en tant que tel.

J’aime mon chemin! L’expression prévaut quand on dit « j’ai fait Saint Jacques ». Mais on ne fait pas le Chemin.  Depuis plus de 1000 ans, par monts et par vaux, il est là! Tout au plus peut-on dire qu’on le parcoure… Mais j’aime le chemin qui s’opère en moi alors que je sillonne ce tracé multiséculaire.  Déjà 6 jours que j’ai tout laissé. Petit à petit, l’essentiel fait place au superficiel. Le confort importe peu, pourvu que chaque matin je me lève et puisse avancer. Mon esprit se libère, les pensées s’accélèrent. Tout refait surface, de mon enfance à mes récents choix. Ai-je bien fait ceci ou cela? Les enfants, Molly? Et papa dans tout cela? Je sais qu’il aurait été fier de moi. Les larmes coulent parfois, souvent. Je crie, je chante. Et la forêt me renvoie en écho ma propre voix. Me voilà confronté à moi pour la première fois. Ca n’est plus des territoires inconnus dont j’ai peur, mais de moi. A chaque pas, c’est en moi que je creuse. Que vais-je y trouver? Quelles vérités? Mon regard se trouble…

Alors que mon esprit se perd, je ne vois pas la première alternative au Chemin. A Freÿr, parait-il, j’aurai pu continuer à flanc de rocher et longer la Meuse. Mais j’emprunte aveuglément le sentier de gauche, celui des alpinistes, le bien nommé! C’est exténué, en nage, que j’atteindrai le sommet. Je fume, littéralement! Chenet est haut perché, mais tout est beau vu d’en haut: la Meuse déroule sont long ruban dans la brume.

Aussitôt monter, aussitôt en bas. Ça creuse de grimper: mon ventre commence à gargouiller! Je m’installe dans un havre de paix loin de tout. J’enlève chaussures et chaussettes, je sors pain et saucisson. Des instants simples, mais que je savoure pleinement. J’en profite pour tremper mes pieds dans cette eau glacée. Un instant de grâce pour eux même, si le froid les transperce. Je résiste jusqu’à la limite de la douleur. Mais alors que je redémarre, je constate que toute fatigue a disparu. Jusqu’à présent, chaque pas me rappelait mon état. Et là, pour la première fois, marcher devient un plaisir. Je n’ai plus hâte d’arriver, j’ai juste envie d’avancer. La sensation d’être porté.  Je commence à comprendre, aujourd’hui, que le Chemin m’accepte.

La suite de la journée sera un ravissement pour les yeux et les oreilles. Perdu dans de magnifiques forêts, de gué en gué, je croise, recroise et longe sans cesse tant et tant de torrents. De collines en vallons, Waulsort apparaît dans toute sa splendeur. Puis c’est au tour d’Hastière de me voir arriver.

Je ne sais pas où dormir aujourd’hui. Je n’avais volontairement pas voulu trop préparer mes longues journées. Pas envie de couper l’herbe sous le pied à la providence. L’envie surtout de prendre au quotidien ce que le Chemin voulait bien m’offrir. J’ai marché 25 km, le soleil commence tout doucement descendre, la fraicheur me glace les os. Je m’enquière auprès de deux riverains en pleine conversation dans leurs jardins, afin de trouver refuge. Leurs grosses maisons me semblent bien accueillantes, peut-être un peu moins le chien qui passe sa truffe à travers la clôture en aboyant bruyamment! Je me dis qu’avec un peu de chance, il se calmera et que ces messieurs seront bien sympa avec moi… « Quelle désolation, mon brave! », me répondent-ils presque de concert, « Il y avait bien un gîte qui, jadis, accueillait les pèlerins, mais maintenant… » Et c’est en fermant la discussion qu’ils me proposent « gentiment » de m’installer en bord de Meuse, dans le jardin du presbytère. La bâtisse est bien occupée par un locataire mais qui, m’assurent-ils, ne me fera pas d’histoire!

Et c’est donc du hall d’entrée de ma tente que je profiterai ce soir d’un magnifique couché de soleil!

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© Luc BALTHASART, 30/11/2015

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