10/05/2015, jour 57 : Sauveterre-de-Béarn – Ostabat

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A mon grand bonheur, Carine et Johanna sont plutôt du genre flemmard. Autant dire que ça ne se bouscule pas dans la chaumière, et que le soleil inonde déjà largement la pièce quand nous nous décidons enfin à penser tout doucement à bouger. Il faut dire que rien ici n’incite à la vitesse : le lit douillet, la douce chaleur, une lumière tamisée, ainsi que le calme infini de la campagne environnante, dans cette chaumière isolée au fond d’un cul-de-sac. C’est finalement Linda qui viendra aux nouvelles pour nous annoncer que le déjeuner était servi dans la cour.

Le temps d’émerger des bras de Morphée et de replier nos effets, nous la rejoignons assise devant une petite table blanche en dentelle de fer où trône un panier garni de délicieux gâteaux et autres biscuits de sa fabrication, à côté d’une adorable cafetière émaillée au bec plein du charme d’antan. Tout est décidément fait ici pour vivre au ralenti. Les rayons du soleil nous caressent déjà la peau, un climat de bien-être exacerbant nos sens qui incite à la confidence.

J’y vais de ma petite histoire et des raisons de mon départ. Je parle de mes pieds, de ma malformation et de mes difficultés à marcher, jusqu’au bonheur d’être au moins arrivé jusqu’ici sans trop d’encombre, priant chaque jour le ciel de pouvoir continuer et remerciant le Chemin de m’avoir accepté. Mais mon histoire n’est rien à côté de celle de Johanna, qui trouve ici la force de surmonter le deuil de sa fille partie trop tôt. Elle a trouvé en Carine la force de se lancer dans ce douloureux voyage. On ressent en elle la volonté de vouloir maîtriser ses émotions. Mais à chaque mot, elle se tourne vers Carine, et on ressent aussi cette gratitude, cette complicité qui les unit. Johanna, encore trop fragile, n’aurait pas pu entamer ce périple. Carine, trop timide, ne serait jamais venue seule ici. A deux, elles ne font plus qu’une.

Je les laisse partir en avant, pendant que je débarrasse la table en compagnie de Linda. L’occasion de pénétrer en son antre et de découvrir une cuisine un peu bohème. Le temps venu aussi pour elle de me faire aussi quelques confidences sur son mariage et sa séparation, sur son fils, sur son envie de se rapprocher des choses vraies et de la nature. Elle commence depuis  peu une nouvelle activité associant justement ce retour aux sources et sa passion pour la pâtisserie, et elle espère rencontrer le succès avec ses gâteaux bio sans gluten. Peut-être ouvrir un jour un salon de thé, ou une boutique bio. Ceci explique dont le délicieux déjeuner dont elle nous a gratifiés.

Il est déjà 9h quand je démarre. Le soleil est maintenant bien présent, ça va être une chaude journée ! Je pense à Olivier, qui doit être quelques kilomètres devant moi. A quelle heure est-il parti, ce matin ? Peut-être le rattraperai-je, peut-être pas. En tout cas, lui qui supporte difficilement la chaleur risque d’être mal servi aujourd’hui !

Un début de parcours légèrement vallonné, mais rien en comparaison des jours précédents. Le trajet va même s’avérer étonnamment plat lorsque j’aurai quitté Sauveterre-en-Béarn et les rives du Gave d’Oloron, alors que je vais garder en ligne de mire le profil découpé des Pyrénées. J’ai l’impression qu’ici je rencontre plutôt des montagnes fatiguées, usées, des collines arrondies, des dômes qui ressortent à peine de la plaine au milieu desquels je chemine.

Il en sera ainsi jusqu’à Saint-Palais que je rejoints en empruntant l’ancienne ligne de chemin de fer désaffectée, transformée en promenade avec ses vieux ponts de fer. J’y rencontre bon nombre de promeneurs d’ailleurs. Un vieux monsieur qui promène son chien, à moins que ça ne soit l’inverse. Un jeune papa avec ses deux enfants. Ou encore ces deux mamies endimanchées qui se rendent probablement à l’office.

Il fait chaud, de plus en plus chaud. L’architecture des premières maisons ajoute encore à cette impression de chaleur. Tout ici ou presque est blanc, reflétant la lumière de manière éblouissante. Il fait chaud et je crève littéralement de soif. Enfin, ça n’est pas vraiment l’expression qui convient : j’ai surtout une envie irrépressible d’une boisson fraiche, pétillante et sucrée, peu importe sa couleur et son goût. Ajouté au fait que je vis depuis quelques jours sur mes réserves, il est grand temps que je pense à me ravitailler.

Sur la place de Saint-Palais se trouve une petite Supérette fort heureusement ouverte. Et à en juger par le va-et-vient des clients, j’en déduits qu’ils doivent bien faire leur beurre avec ces pèlerins distrait qui comme moi n’ont pas anticipé les fermetures dominicales. A l’intérieur, c’est une joyeuse cohue de sacs à dos et de bâton dans les rayons rendus trop étroits. J’appréhende l’idée que les patrons ont du avoir plus d’un accident avec une pile d’œufs, par exemple. Mais cela n’enlève en rien leur sourire. Il faut dire aussi que le tintement de la caisse enregistreuse contribue fortement à leur bonne humeur !

J’en ressorts quelques instants plus tard avec un ravier de macédoine de légumes à la mayonnaise, une baguette toute fraîche, un pot de rillettes du Mans, et sacré Graal, deux canettes de Fanta®, dont la première verra sa dernière heure arrivée sur le muret du parterre de fleurs ornant le trottoir juste sur la devanture du magasin ! Bon Dieu, que j’avais soif…

Quant aux rillettes du Mans, je ne savais pas encore que j’allais être bien inspiré par ce choix. Alors que je profite d’un peu d’ombre et de repos sur ce muret, voilà qu’arrive un petit bonhomme à l’allure aussi bienveillante que sympathique. Après avoir également fait quelques emplettes, il rejoint sa femme assise juste à côté de moi, avec qui j’avais engagé la conversation un peu plus tôt. Il est aux petits soins pour son épouse qui souffre atrocement d’une cheville douloureuse. Pierre et Josette, qui, je vous le donne en mille, viennent du Mans, d’où le rapport avec mes rillettes.

Il faut en fait savoir que contrairement à la croyance populaire, ça n’est pas à la légendaire borne de Gibraltar, lieu mythique des Chemins français, que se rejoignent trois des quatre voies de Saint-Jacques. Quelques kilomètres avant, ici, à Saint-Palais, la Via Turonensis qui vient de Paris en passant par Tours rencontre la Via Lemovicensis, celle que je suis depuis Vezelay en passant par Limoges. Et c’est donc ici que je fais la connaissance de Pierre et Josette, partis quelques semaines plus tôt de chez eux dans la banlieue du Mans. Je me doutais bien peu qu’en eux, j’allais trouver ceux que j’appellerai plus tard mes parents du Chemin. Mais pour l’heure, après avoir conversé quelques minutes, je prends congé d’eux pour me réfugier sous le pont et déguster mon repas.

Rassasié, je reprends la route pour m’éloigner de cette agglomération qui ne m’inspire pas plus que ça. Et c’est à partir d’ici que tout va se gâter ! La planéité du terrain n’était que trompeuse, et au sortir de Saint-Palais, ça ne sera plus que côtes et raidillons.

Tout d’abord par la route, jusqu’à cette fameuse stèle de Gibraltar où arrive également la Via Podiensis en provenance du Puy-en-Velay. Fini la tranquillité. La voie du Puy est largement fréquentée, et même en ce début de saison, c’est un flot continu de pèlerins qui nous rejoint.

Je retrouve à cet endroit Helen et Kitty, mes anges hollandaises qui m’avaient consolé alors que j’étais si mal il y a quelques jours. A croire que c’est leur rencontre qui finalement me charge d’émotions : une fois de plus, nous nous étreignons en larmes de joie.

Ensuite, à partir de cette stèle, c’est un sentier abrupt qui nous attend. La roche calcaire usée par des milliers de pas se présente en plaques lisses et glissantes, quand ce n’est pas sous la forme de cailloux qui roulent sous nos pieds. La montée est dure, rendue encore plus pénible par le sol clair qui nous renvoie soleil et chaleur. C’est dans cette montée que je croise à nouveau mes deux nouveaux amis du Mans. Josette clopin-clopant souffre de plus en plus. En côte, l’inclinaison du pied augmente encore les douleurs aux chevilles. Vraiment, elle souffre, et Pierre est au désespoir de ne pas pouvoir la soulager plus qu’en portant son sac. Lorsqu’enfin nous arrivons à la chapelle de Soyarce qui marque le point culminant de la journée, nous pouvons enfin profiter de la magnifique vue qui s’offre à nous. Affalé sur un banc, on se nourrit à la fois des montagnes qui nous font face et du ballet incessant des vautours qui nous tournent autour. Et ça n’est pas une métaphore : nous sommes réellement survolé avec cette désagréable impression de peut-être constituer leur prochain repas !

Je profite de cette pause salvatrice pour m’enquérir sur la santé de Josette. Non seulement elle a mal, mais en plus, elle n’a rien pour se soigner. Toutes les pharmacies sont fermées, et elle n’a pas le moindre antidouleur à disposition. Mais fichtre, moi… J’en ai ! Il fut même un temps au début où c’était presque mon dessert quotidien. Limite, le matin, je mettais même un comprimé en guise de sucrette dans mon café. Mais ça, c’était avant. Et même si par précaution j’en ai toujours avec moi, je ne suis pas à un près. Ni même à une tablette complète, que je m’empresse de lui remettre. « Aide ton prochain, il t’aidera », qu’il disait ! Je pense que ce jour là, je ne l’ai pas seulement soulagée, je lui ai carrément remonté le moral et  peut-être donné la force de continuer. J’en suis si heureux !

Allez zou, il reste encore une petite dizaine de kilomètres, on ne va pas s’attarder plus longtemps. A partir d’ici, forcément, ça descend. Mais ça n’est pour autant que c’est plus facile. C’est même vachement plus dangereux. Mais comme si mon geste m’avait donné du baume au cœur, j’avance en sifflotant,  faisant fi des pierres qui roulent et de la végétation qui envahit les sentiers.

Il est presque 17 heures lorsque j’arrive au gîte de Gaïneko Etxea. N’essayez même pas de prononcer ce nom, le basque est une langue quasi impossible pour qui n’est pas né avec ! Toujours est-il que j’y retrouve Oli. Nous avions d’ailleurs convenu de nous retrouver ici, où malgré un prix assez conséquent, l’endroit a la réputation d’une hospitalité et d’une ambiance exceptionnelles.

Il a choisi l’option chambre individuelle, un peu plus cher et qu’il regrettera amèrement par la suite quand il découvrira que dans son logis se trouve une énorme armoire électrique. Pas très rassurant, mais il devra s’en accommoder. Pour ma part, c’est dortoir commun, dans lequel je retrouve une dizaine de pèlerins tous plus inconnus à mes yeux les uns que les autres. Mon regard est toutefois attiré par une espèce d’éphèbe étendu sur son lit, uniquement vêtu d’un slip rikiki.

Il s’appelle Laurent, et cela fait 15 jours qu’il marche sur la voie du Puy. Il est belge, et quand trois belges se rencontrent à presque 1600 kilomètres de chez eux, ils partagent l’apéro. C’est ainsi qu’on se retrouve tous les trois à blaguer sur la terrasse du gîte autour de bières basques.

Avouons-le, le repas ne sera pas des meilleurs. Pas mauvais, loin de là, mais très basique. Un bouillon en entrée où on pouvait compter les vermicelles, un maigre morceau de viande avec quelques pelletées de haricots en boite, et une petite tranche de fromage basque pour ponctuer le tout avec un demi de vin rouge par personne.

Mais ce repas est surtout agrémenté par les chants basques et la jovialité de notre hôte. Nous sommes environ 35 à profiter de l’ambiance. A ma table, je compte Olivier et Laurent, bien sûr, mais aussi Daniel et Nadège, ainsi que Bernard, un carolo (*) un peu ronchon qui a la particularité de ne jamais se séparer de son sac-banane avec tout son nécessaire de survie : papier et argent, bien évidemment, mais aussi plus étrangement pendant le repas, son topo-guide et sa bouteille d’eau.

Pas de Pierre et Josette dans l’assemblée. Je ne saurai pas ce soir si mes cachets ont fait effet ni si ils sont bien arrivés. Où sont-ils d’ailleurs ? Les reverrais-je seulement un jour ? Je ne remarque pas non plus encore parmi nous Eric et Anne-Claude, dont je ferai la connaissance un peu plus tard et qui nous accompagneront jusqu’à Burgos.

Malgré une ambiance à tout casser, le repas est finalement vite expédié. Il sait bien mener sa barque et son affaire, notre basque : demain, tout le monde doit être debout et avoir débarrassé le plancher à 8h00 au plus tard (**) ! Qu’à cela ne tienne, nous profiterons encore d’une douce soirée pour jeter un sort au restant d’une bouteille d’alcool de prune dont il pleure encore la disparition. Qu’il se console en pensant aux nombre de shot à deux euro que nous avons consommé…

La courte nuit sera ainsi parsemée de rêves et d’étoiles, accompagnés des doux ronflements de mes compagnons de chambrée.  A demain, 7h ! Schnell !!!


(*) Pour ceux qui l’ignorent, carolo, habitant de la ville de Charleroi, en Belgique.

(**) Faites donc le compte, en estimant qu’il fait le plein au moins 250 jours par an, à 36€/personne (tarif 2015), multiplié par 35 places, pour quelques draps propres, autant de douches, et un repas des plus simples… Le Chemin est pour certain une très bonne affaire ! 😉 

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Ou celui du lendemain ?

© Luc BALTHASART, 11/01/2019

7 réflexions sur « 10/05/2015, jour 57 : Sauveterre-de-Béarn – Ostabat »

  1. A te lire et voir tes photos , je revis ces superbes moments vécus à ces endroits. Continue ton récit, il m’émerveille toujours.

    1. Bonjour Pascal,

      Merci pour ton commentaire qui m’encourage fortement. A te lire, je me dis d’ailleurs : « Objectif atteint ! »

      C’est effectivement mon but, au-delà du fait de partager mon expérience qui forcément m’est propre (ne dit-on pas « A chacun son Chemin »?), c’est de permettre au autre, ancien ou futur pèlerin, de vivre ou revivre cet esprit.

      A bientôt,
      Luc

  2. Je compte camper aussi souvent que possible car mon projet est de faire l’aller et le retour en vélo (€).
    Je ne vivrai probablement pas le même genre d’aventures, mais qui sait ce basque profiteur n’est certainement pas le seul rapace du chemin…
    Son comportement me dégoûte, l’argent, le beurre et le cul de la fermière ?
    Continue de nous faire partager tes périgrinations.

    Salut vî Kadet?

  3. Bonjour Luc
    Je serai bref ici , mais quel plaisir de retrouver tes récits ….. bon courage pour les suivants que nous attendons avec impatience tu te doute bien.
    Bises a nous deux
    Pierre et Josette

    1. Bonjour Pierre (et Josette 😉 )

      Pourquoi être bref ici ? J’attendais ton commentaire avec autant d’impatience que tu attendais cet article, le récit de ce jour où je vous ai rencontré. Mon souvenir correspond-il au vôtre ? Je me souviens si bien de Josette, une fesse posée sur ce muret, t’attendant patiemment… Et puis cette montée, mon sac ouvert parterre devant la chapelle pour y fouiller et donner à Josette cette précieuse tablette d’antidouleur.

      A bientôt,
      Luc

  4. Encore une fois Luc , merci de partager ce vécu tellement unique à chacun. En te lisant je me revois aussi dans des situations similaires …. Je me remercie aussi d’avoir pris le bus afin de ménager mon genou blessé à Sauveterre en Béart pour Saint-Jean-Pied de Port. Le pauvre , il n’aurait pas tenu le coup dans les raidillons comme tu dis. J’ai eu aussi quelques gîtes de profiteurs, heureusement qu’ils ne sont pas légion.
    Bravo, ce fut un autre un rendu intéressant.
    À bientôt
    Roger

    1. Bonjour Roger,

      merci pour ton commentaire et ton témoignage.

      Pour ma part, Dieu m’en préserve, je n’ai jamais eu à souffrir de la moindre défaillance qui m’aurait contraint à devoir prendre le bus ou abandonner.

      Quant aux profiteurs, ça n’est pas l’apanage des gîtes. Certains commerces, familles d’accueil, etc. sont aussi un peu dans cette optique. Mais heureusement, comme tu le soulignes, ils ne sont pas légion. Mais attention toutefois, je ne regrette pas mon arrêt à ce gîte. Il est très bien tenu, propre et bien agencé, des vrais lits (simples et pas superposés!), l’ambiance est à nulle autre pareil et l’accueil est cordial. Je regrette seulement cet aspect mercantile, le prix demandé qui me parait un peu surfait pour la prestation et le côté expéditif/rentabilité.

      A bientôt pour la suite,
      Luc

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