01/05/2015, jour 48 : Saint-Ferme – Bassane

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Il pleut ! Ca faisait longtemps, tiens ! Et pas le petit crachin du matin, non : une belle pluie, pas une grosse pluie, mais une pluie sous un ciel plombé dont on sent qu’elle va durer toute la journée. Du coup, on n’est pas super pressé de lever le camp. D’autant que le déjeuner pantagruélique est délicieux, avec ces baguettes toutes fraîches, ce café fumant, le beurre, les confitures, et puis les amis, tous ces amis réunis autour d’une même table où se mêlent les différents langages entrecoupés de rires. Dannis est tout heureux de pouvoir converser avec Carine dans la langue de Vondel. Johanna maîtrise l’anglais, dont je fais la traduction en français pour Patrick. Le Chemin prend parfois des allures de tour de Babel.

Chacun y va de son petit clan aujourd’hui : Dannis et Henri, Johanna et Carine, Patrick et moi. On part les uns après les autres, chacun soucieux de laisser suffisamment de distance avec le binôme qui le précède, un peu comme pour le départ d’un contre-la-montre du tour de France. On ne s’est bizarrement pas vraiment concerté sur l’objectif à atteindre aujourd’hui. On parle vaguement de La Réole, mais je pense savoir que Dannis et Henri sont relativement pressés, et comptent peut-être aller au-delà. Dannis a en effet une date butoir pour arriver à Santiago, et reprendre un vol déjà réservé. Quant à Henri, il doit absolument rentrer chez lui dans quelques jours pour faire acte de présence à un repas de famille, et reprendre ses activités normales.

Je suis d’ailleurs surpris de le voir ainsi quitter Patrick. Pour moi, dans mon esprit, ils étaient indissociables ! Bourguignons, amis et unis, ils avaient entrepris ce périple ensemble, et si j’avais déjà eu écho que Patrick poursuivrait seul jusqu’à Santiago, il était à mes yeux impensable qu’ils n’arrivent pas ensemble aux portes des Pyrénées. D’autant qu’Henri était le compagnon de marche obligé de Patrick : Marianne, la femme de ce dernier, avait peur de le savoir seul sur le Chemin, et lui avait demandé de trouver un ami avec qui partir. Henri s’était alors proposé au gré d’une conversation. C’était plus pour lui un défi qu’une démarche spirituelle(*), mais même si ils n’étaient pas dans le même esprit, ils se complétaient à merveille. Marianne était peut-être maintenant suffisamment rassurée de ma présence, d’avoir acquis la certitude que finalement, ici, on n’est jamais vraiment seul. Toujours est-il qu’à partir de ce jour, Henri s’en ira.

C’est une fois de plus une journée jalonnée de vignobles à perte de vue, mais un trajet essentiellement asphalté qui s’allonge devant nous. Ce qui facilite grandement notre progression en regard de la météo, mais qui ne ravit pas forcément nos articulations. On marche la tête baissée, le nez sur la pointe de nos souliers, ça dégouline le long de nos vêtements de pluie, ma main glisse le long de Wilson, on hésite à sortir nos appareils photo. Mais la pluie n’entame en rien notre motivation et nos sourires.

Comme à l’accoutumée, on agrémente nos pas de diverses conversations. Avec Patrick, c’est toujours un peu philosophique, même si ça reste à chaque fois dans la bonne humeur avec une pointe de sarcasme et d’humour que nous partageons pour notre plus grand plaisir. Il me parle de sa femme, je lui parle de la mienne laissée au pays. Car l’air de rien, elle me manque terriblement et j’y pense si souvent ! J’ai emporté d’elle des souvenirs et le poids de mes erreurs, avec la ferme intention de les déposer au pied de la Cruz del Ferro(**). Et le secret espoir de la retrouver, nouvelle et encore plus amoureuse. A ce moment, sans qu’il le remarque, l’eau qui coule le long de mes joues et qui se mêlent à la pluie meurent au coin de mes lèvres dans une saveur salée remplie d’amertume.

La météo n’incitant pas à flâner, la journée se passe ainsi, sans trainer, sans presque jamais s’arrêter. Et 20 km plus loin, alors que nous ne sommes qu’en début d’après-midi, nous atteignons déjà La Réole.

La Réole est une grosse ville aux allures médiévales, bâtie sur un éperon rocheux qui surplombe la Garonne. C’est un mélange assez hétéroclite de ruelles qui s’entremêlent, longées de bâtiments pas forcément si anciens, mais jalonnées régulièrement d’édifices multiséculaires et de vestiges de murs en pierres d’une autre époque. L’église Saint-Pierre, par exemple, dans un style résolument gothique, ne date pourtant que du XVIIème s., témoin de la volonté d’un peuple de se rattacher à un passé prestigieux.

Arrivé ici, je suis entre deux idées. Nous n’avons pas beaucoup marché aujourd’hui, et il est d’ailleurs pour moi beaucoup trop tôt pour m’arrêter. J’avais l’intention de continuer un peu. Comme bien souvent, je n’avais absolument rien réservé, avec la ferme idée de bivouaquer. Mais la météo qui ne semble pas s’améliorer ne s’y prête guère. D’un autre côté, Patrick, plus pragmatique, avait téléphoné à une charmante dame qui proposait une chambre pèlerin à domicile, et plutôt que de jouer les intrépides sans savoir où aller, il a préféré abattre la carte du confort, de la sécurité, de la sagesse, et il faut bien le dire aujourd’hui, de la sécheresse !

J’en suis là dans mes réflexions, alors qu’il se propose de retéléphoner à la dame pour savoir si il serait possible d’accepter un deuxième pèlerin tout mouillé. Puisqu’elle ne répond pas, le sort en est jeté. Nous faisons le tour de la ville ensemble, quelques courses, puis on s’installe dans un bar pour un dernier verre de l’amitié en guise d’au revoir. Je ne sais pas encore où je vais atterrir, pas la moindre idée d’où ni comment je vais dormir, et le ciel n’est pas de bonne augure. On se fait l’accolade en se souhaitant mutuellement un Buen Camino, il remonte la rue, pendant que je lui tourne le dos pour descendre vers le pont qui enjambe la Garonne. Je suis d’autant plus triste de le quitter qu’il va fêter son anniversaire dans cinq jours, et que sans nous, sans Henri et moi, sans Dannis, il sera seul !

Me voilà aussi à nouveau seul sur ce Chemin. J’abandonne Patrick. Henri et Dannis doivent être loin devant. Il pleut, le ciel est triste et j’ai le cœur gros. C’est décidément une journée chargée en émotion. Et comme pour ajouter encore à mon moral en berne, un vent glacial se lève alors que je me retrouve à découvert au milieu des champs. C’en est trop pour moi. Je suis balayé de toute part, tantôt de face, tantôt sur le côté, au gré des méandres de la chaussée. Je n’avance plus, je titube !

Dans ces conditions dantesques, je me vois mal dresser ma tente et me contenter d’un coin de prairie à l’orée d’un bois. Me loger au sec devient une priorité. C’est alors que je me souviens qu’Henri avait vaguement évoqué un vieux moulin au nom qui nous avait fait sourire : Piis. Qu’on y croit ou non, ce jour-là, la Providence fut avec moi. Pendant que je relève la tête entre deux bourrasques, ce nom apparaît sur un minuscule panneau directionnel. Je l’aurais cherché que je ne l’aurais pas trouvé !

Je reviens un peu sur mes pas, à peine quelques centaines de mètres, pour m’engager dans une longue allée toute propre bordée de jeunes arbres fraîchement plantés, qui me mène directement au Moulin de Piis. C’est une vieille bâtisse fortifiée du XIIIème s., récemment sauvée de la ruine par une poignée de passionnés, et largement aménagée pour servir de lieu de réception, d’exposition temporaire, et bien entendu, eu égard à une de ses vocations premières, de refuge pour pèlerins égarés tel que je suis. J’apprendrai tout cela de la bénévole chargée de venir nous accueillir, encaisser son dû (10 €, tarif pèlerin !), et tamponner nos crédentiales.

Au moyen-âge, un moulin ainsi perdu au milieu d’une plaine, c’était en effet un repère. Perché sur une butte, tant pour occuper une position défensive dominante que pour se protéger des crues, les pèlerins, après avoir franchi la Garonne sur un bac, le voyaient de loin. Ils en profitaient alors pour y faire halte, se reposer, se sécher, manger, acheter un peu de farine ou quelques babioles. C’est donc dans un lieu chargé d’histoires que je vais dormir, dont la plus émouvante est sans nul doute celle de la femme d’un pèlerin qui mourut ici en couche, au milieu du XVème s. Leurs corps, celui de la mère et de l’enfant, reposent encore au sein de l’église de Bassane.

Quelle n’est pas ma surprise de retrouver à l’étage Henri et Dannis. Ainsi donc, ils n’avaient pas été aussi loin qu’ils l’espéraient. Le vent, le pluie, le sort eurent raison de leurs dernières volontés, et c’est avec le même soulagement que moi qu’ils trouvèrent ce lieu sur leur passage. Je suis heureux et soulagé de les revoir.

L’étage est vaste, avec quelques lits alignés simplement séparés par des pare-vues en osier. Une grande table, deux bancs, une minuscule cuisine, mais avec tout ce qu’il faut pour se concocter notre festin : des spaghetti bolo et une bouteille de vin. Deux hollandaises, parties de chez elle, Roermond, viennent se joindre à nous, mais pas celles de la veille : Anna et Ria, fringantes pensionnées débordantes d’énergie, de joie et d’empathie. Elles nous apparaissent d’une douceur et d’une gentillesse à toute épreuve. De véritables mamy, au sens noble du terme, ce genre de mamy qui s’inquiète pour vous au moindre maux, et qui n’hésite pas à partager sa dernière gaufre juste pour vous voir sourire. Je ne le savais pas encore, mais dans quelques jours, elles allaient être pour moi d’un soutien salutaire.

L’immense pièce résonne de nos rires et des couverts qui s’entrechoquent.  Toutes mamy qu’elles soient, Anna et Ria s’avèrent être de joyeux drilles, et on s’amuse tous les cinq de nos bêtises parfois presqu’enfantines.

Je me nourris de cette ambiance, je me réchauffe de leur présence. J’appréhende un peu la nuit à côté de Dannis le ronfleur, mais je préfère de loin être ici en leur compagnie et faire fi de ce petit inconvénient que d’être seul dans ma tente sous une pluie battante.


 (*) Mais il se laissera peu à peu imprégner par l’Esprit du Chemin, au point de le poursuivre un peu plus tard et d’atteindre Santiago, avec toutes les raisons personnelles qui l’auront motivé.

(**) La Cruz del Ferro : un endroit mythique sur le Camino Francès, en Espagne, où la tradition veut qu’on y dépose un cailloux, un objet emporté avec nous depuis la maison, symbole de nos péchés, de nos regrets passés.

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© Luc BALTHASART, 01/02/2018

4 réflexions sur « 01/05/2015, jour 48 : Saint-Ferme – Bassane »

  1. Bonjour LUC,
    quel bon moment de plaisir de continuer a te lire , vraiment trop de souvenirs !!!
    Juste pour toi ………………. ne manque t il pas un mot a ta phrase ?
    « elles allaient être pour d’un soutien salutaire. »
    Bon courage et surtout bonne écriture ………. tu sais que je les lis avec attention ,toutes tes pages.
    Amitiés

    1. Bonjour Pierre,,

      Je te remercie du fond du cœur d’être parmi mes plus fidèles lecteurs ! Et un des plus attentifs : effectivement, il manquait un mot. C’est corrigé 😉

      Toutes mes amitiés, et beaucoup de courage à Josette !

      Gros bisous et à bientôt,
      Luc

    1. Les « croix » font partie inhérente du Chemin. Tout ne peut pas être rose tous les jours 😉
      Et c’est aussi en affrontant l’adversité qu’on apprend à avancer.
      Le Chemin est à l’image de la vie 😉

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