27/04/2015, jour 44 : Périgueux – Saint-Astier

Le récit du jour précédent ?

Ou celui du lendemain ?

Retrouvez toutes les photos du jour 44

Je n’ai jamais si bien dormi que depuis que je suis ici, sur le Chemin. Est-ce le grand air ou l’effort quotidien? Ou tout simplement l’apaisement d’être loin de tout souci? Je m’endors au quart de tour sans jamais me réveiller en cours de nuit. Je me lève dès potron-minet, bien reposé, les batteries chargées à bloc, sans la moindre courbature, quelque soit la qualité du couchage. Le rituel des étirements ne sert plus à me remettre les articulations en place, il me permet juste d’annoncer à mon corps impatient que nous allons bientôt repartir.

Nous nous levons de concert ce matin, tous bien en forme, à l’exception d’Henri qui aura mis toute la nuit à digérer ses pommes de terre sarladaises. Des confitures et du café moulu sont à notre disposition, et pendant que Patrick s’affaire à la cafetière, nous préparons nos restants de baguettes moins croustillantes que la veille mais néanmoins suffisamment savoureuses à nos palais. Parce que c’est aussi un apprentissage du Chemin: se contenter du peu que l’on a, quel que soit son état. Un quignon de pain écrasé dans un coin du sac, un fromage ou un saucisson qui ont transpirés sous la chaleur accablante, ou encore une banane noircie par le traitement qu’on lui aura infligé tout au long de la journée. Ça n’est pas tous les jours resto et grande cuisine, bien au contraire ! Mais on s’en satisfait largement, conscient du simple fait de pouvoir manger.

Ce matin, c’est donc baguettes ramollies et confitures industrielles, ce qui est déjà un luxe en soit, agrémenté d’un délicieux café savamment dosé par Patrick l’Alchimiste du Perco. On discute encore un peu au sujet du découpage des étapes pour les jours à venir. On fait également l’inventaire des éventuels logements disponibles, bien que ce dernier point me concerne moins puisque tel un escargot, je me balade avec ma maison sur le dos. Mais sur notre trajet se trouve cette fois un château dont le propriétaire maintient la tradition familiale et multiséculaire d’accueillir les pèlerins de Compostelle. Nos regards se croisent pour distinguer au fond de nos yeux les mêmes étoiles: nous allons nous aussi respecter la traditions et faire honneur à cet hôte de marque !

Henri et Dannis bouclent leurs sacs, Patrick leur emboîte le pas. Tandis que je vais en profiter pour visiter un peu la ville à peine éveillée. Je pense aussi qu’inconsciemment, je trouve là l’occasion de respecter mon besoin de solitude.  On s’en va donc chacun de son côté, chacun à son rythme, chacun avec ses affinités et sa façon d’avancer. Avec la promesse de se retrouver ce soir à Saint-Astier.

Le ciel est plus que menaçant en ce matin du 27 avril 2015. Nous sommes lundi, une nouvelle semaine trépidante va reprendre ses droits. Une semaine comme les autres pour tous ces commerçants. Une nouvelle semaine de découvertes, de paysages fascinants, de nature luxuriante, de surprises inattendues pour moi ! Mais pour l’heure, je déambule dans le vieux quartier médiéval. Dans les bruits étouffés par l’entrelacs des ruelles, je me sens presque transporté à une autre époque. Toutes les maisons sont en pierres blanches, beaucoup sont travaillées avec beaucoup de raffinement. Je découvre des petites places qui devaient être des lieux de rencontres incontournables au temps des chevaliers et des croisades. J’emprunte un passage voûté qui m’amène à une petite cour secrète. Tout est tellement désert qu’on se croirait presque dans une ville fantôme.

J’ai maintenant presque une heure de retard sur mes compagnons. Suffisamment pour ne pas risquer de les rattraper et avoir ce sentiment divin que le Chemin m’appartient.

La banlieue de Périgueux est longue et ennuyeuse. Je longe des voies rapides qui semblent sans fin. J’avale des kilomètres d’asphalte indigeste. Il me faudra plus d’une heure pour arpenter des régions moins fréquentées et des routes de campagne plus calmes. Je traverse une succession de villages et de hameaux aux noms chantants: Chancelade, Terrassonnie, Andrivaux. Je passe aussi à côté de lieux-dits dont les origines se perdent dans la nuit des temps: le Pot-Perdu, Le Pas-de-l’Anglais, Les Brunies. Et des édifices d’une autre époque : un lavoir qui semble être figé dans son jus, une ferme sans âge qui pourrait être directement issue d’un roman de Pagnol.

Encore une heure de plus pour trouver enfin la quiétude d’une forêt et des sentiers plus agréables à fouler. Le ciel reste plombé, mais la pluie m’épargne, du moins jusqu’à présent. Le temps est clément; la chaleur, bien que présente, n’est pas pesante. Le trajet, hormis quelques solides montées, s’avère finalement plus agréable qu’il s’était annoncé en début de journée. Je gave mes sens de tout ce que m’offre la nature : des fleurs et des plantes aussi belles que gracieuses, des parfums enivrants, et puis ce chant omniprésent des oiseaux qui m’acclament au passage. Dans ces contrées qui me sont pourtant inconnues, je ne me sens pas étranger. Je suis pèlerin et ma maison est le Chemin. Et que ce soit en arpentant la frondaison d’arbres qui bordent le canal de l’Isle à Anesse, lorsque j’enjambe la rivière par une belle et moderne passerelle, ou que j’admire un séchoir à maïs, je ne fais que m’inscrire dans cette tradition.

J’arrive finalement à Saint-Astier avant mes amis, à l’exception bien évidemment de Dannis la Malice ! Petit coup de fil à Patrick, mystère non résolu, il arrive par un côté alors que je fais mon entrée par celui opposé. L’un de nous à sans nul doute raté un embranchement, à moins que des balises se soient confondues : nous avions déjà remarqué à plusieurs reprises que différents Chemins se chevauchaient, se croisaient et se recroisaient. Nous avions également aperçu parfois des balises antédiluviennes, complètement délavées et masquées par la végétation. Je reste en outre persuadé que le Chemin évolue parfois au fil des années : de nouveaux sentiers sont ouverts, d’autres se ferment, au profit d’un parcours plus champêtre (*). Toujours est-il que c’est ainsi. Le rendez-vous est pris devant le supermarché. Dannis nous y attend déjà. Henri nous y rejoindra. Il a téléphoné au château pour prévenir de notre arrivée certaine (**), et on l’a informé que la cuisine et toutes ses commodités nous seraient d’accès libre.

Aussi, lorsque le quatuor est enfin réuni, nous décidons du menu d’un commun accord avant de partir à l’assaut du magasin bien achalandé. La première halte sera pour l’apéro : quelques chips feront l’affaire. Je suis d’ailleurs à chaque fois étonné de la pauvreté du choix qui s’offre à nous, alors qu’en Belgique, un rayonnage entier est consacré à une multitude de formes et d’assaisonnements différents. Ensuite et dans l’ordre d’importance, nous abordons le vin, où là, par contre, France oblige, un vaste choix nous est proposé ! Viens enfin le repas : Patrick s’est proposé de nous régaler d’une quiche maison, accompagnée d’une salade verte, suivie d’un morceau de pain et d’un incontournable camembert. Et tant que nous y sommes, nous craquons aussi pour un pain brioche et une motte de beurre frais qui feront de notre déjeuner un festin ! Les courses sont ainsi bouclées, il ne nous reste plus qu’à trouver notre château.

C’est à la sortie de Saint-Astier qu’une imposante, majestueuse, interminable allée bordée d’arbres affublés d’armoiries, nous mène au château de Puyferrat. Et lorsqu’il nous apparait dans toute sa splendeur, nous en restons sans voix ! C’est que ça n’est pas une petit masure, ni un manoir. Ca n’est pas non plus un simple castel. Non ! C’est un château, un vrai, du XVIème siècle, parfaitement conservé et entretenu ! Et on se prend à rêver de l’accueil qui va nous être réservé.

Sur le pas de la porte, la gouvernante nous attend, entourée de deux adorables chiens qui s’empressent de courir vers nous. Elle nous informe que les propriétaires ont malheureusement dû s’absenter, et qu’elle est chargée de l’accueil avant de prendre congé de nous. Nous entrons dans le grand salon où un feu crépite déjà, et d’un ton solennel, elle nous demande de sortir nos crédentiales afin de les estampiller ! Parce que c’est ainsi que commence la vie de château : ici, on ne tamponne pas, on estampille, s’il vous plaît ! Elle nous fait ensuite faire le tour du propriétaire, nous montre nos chambrées, pour reprendre son expression consacrée, avant de nous laisser en précisant que le château est à nous et que nous sommes libres de le visiter et de faire comme chez nous !

Nous voilà seuls, tous les quatre, un peu penauds, ne sachant trop comment aborder notre vie de châtelains d’un soir. Même la cuisine nous semble surannée. Mais loin de nous plaindre, nous prenons vite nos marques et partons ensemble prendre possession de notre demeure. C’est ainsi qu’on s’empresse de monter quatre à quatre les marches de l’escalier monumental pour nous installer dans nos chambrées. Je partagerai la mienne avec Dannis, tandis que les deux bourguignons resteront ensemble. Puis on découvre le chemin de ronde dont je m’empresse de faire le tour, non tant pour admirer le magnifique paysage qui s’offre à moi, que pour m’imaginer dans la peau d’un garde surveillant l’arrivée d’ennemis potentiels. Quelles batailles ce château a-t-il essuyées? Quel seigneur, quel chevalier a-t-il hanté ces lieux? Etait-ce un despote ou un gentil noble? Quels destins se sont-ils joués derrière ces murs épais?

De retour à  l’intérieur, nous continuons nos investigations par la salle de bain, puis les combles au plancher craquant et à la magnifique charpente. Henri s’amusera de trouver là, dans cette pièce presque totalement dépourvue du moindre mobilier, un petit guéridon affublé d’une bergère. C’est presque mystérieux, étrange, comme si ici, on s’était risqué à invoquer les esprits. Ce qu’Henri ne manquera d’ailleurs pas de faire en prenant place dans la bergère ! Fou rire garanti, que les fantômes présents nous pardonnent.

Nous décidons bien avant de souper de passer chacun notre tour à la salle de bain. Parce que l’air de rien, la journée fût finalement assez fatigante avec tous ces vallons à franchir. Je leur laisse la priorité, avec l’arrière pensée qu’en passant en dernier, je me ferai couler un crapuleux bain bien chaud ! J’en profiterai également pour me raser, rituel sacré réduit à sa plus simple expression, moi qui suis adepte du coupe-choux traditionnel (mais si, hein, le rasoir de vos grands-pères, celui des cowboys, avec le cuir, et tout, et tout…) et de la mousse qui caresse ma peau. Ici, c’est huile de rasage pratique et shavette de coiffeur (le petit rasoir pliant à lame interchangeable) !

Comble de la volupté, je me glisse dans une eau à 40 degrés, et me laisse aller jusqu’à sentir chacun de mes muscles se décongestionner. Mes pieds aussi apprécient, et j’en profite pour les masser et les malaxer dans tous les sens pour détendre les tendons toujours endoloris.

Mais trêve de prélassement, je culpabilise à l’idée qu’ils m’attendent pour entamer l’apéro. Je me sèche et enfile mes habits les plus saillants pour faire honneur à la quiche de Patrick. Il est d’ailleurs occupé à la préparer, et je me joins à lui pour filer un coup de main, tandis que Dannis et Henri attisent le feu, dressent la table et préparent l’apéro.

Pendant la cuisson, nous ressassons cette journée sans trouver d’explications plausibles sur nos différents parcours. Je pense néanmoins au regard de notre fatigue et de la durée de marche, que quelque soit le trajet annoncé, nous avons tous fait plus que ce qui était prévu. Mais nous sommes réunis, le vin est bon, sauf pour Henri qui aura préféré du jus de fruit, les odeurs commencent à narguer nos narines et nous avons hâte de nous remplir la panse !

De la quiche qu’on agrémente d’une salade verte à la vinaigrette, il n’en restera pas une miette ! Je ne me suis jamais tant régalé que par ce simple et délicieux repas. Peut-être est-ce dû aussi au contexte, dans ce château, avec ce décor, entouré de mes amis ?  Le vin fait son œuvre, et nos rires rebondissent sur les murs de l’immense salle à manger. Il fait bon de se laisser aller à un lâcher prise sans nul autre pareil, savoir que demain est une autre journée qu’aucun nuage de la vie ne viendra assombrir.

Le repas terminé, Dannis qui avait un peu poussé les investigations pour trouver la vaisselle et les couverts, nous ouvre la porte d’un placard bien garni d’alcools fins. Faites comme chez vous, avait-elle dit? Ce qui fut donc dit, fut fait, et sans exagérer, nous nous sommes octroyés un petit cognac.

La soirée touche à sa fin, mes trois comparses sont fatigués, et s’en vont rejoindre les bras de Morphée. Quant à moi? Je veux encore un peu profiter de cette soirée. Je m’installe dans un fauteuil devant l’âtre. Mes yeux se perdent dans les flammes virevoltantes, tandis que mon esprit s’évade. Je mesure ma chance d’être ici. Non pas seulement dans ce château, mais à ma place, sur ce Chemin. Plus de vingt ans que je caressais secrètement ce rêve, et jamais je n’aurais imaginé m’y sentir aussi bien. Mes pieds étaient une difficulté, ils sont devenus mes meilleurs alliés. Je n’avais pas de but, j’ai maintenant une passion.

Une bûche craque et me sort de ma torpeur. La douce chaleur du feu associée à celle du cognac assoupissent peu à peu mes muscles. Je monte rejoindre Dannis qui ronfle déjà comme un vieux diesel mal réglé. Mes petits bouchons d’oreilles seront encore bien nécessaires cette nuit. J’éteins la lumière, à peine le temps de trouver ma place, que déjà je sombre dans un sommeil profond. A demain…


  (*) Note à Paul: le « nouveau » Chemin de cette étape ne passe plus par l’austère D3 et la base militaire souterraine, par exemple 😉

(**) « Par principe », et en général, il n’est pas autorisé de réserver ! Au mieux peut-on prévenir de notre arrivée, afin de s’assurer qu’il y ait de la place. Cette règle tacite est mise en place afin d’éviter, comme cela arrive trop souvent, que certains réservent dans plusieurs gîtes, ne décommandent pas, et finalement, empêchent d’autres d’occuper les lits disponibles. Mais bon, ça reste « un principe »: certains gîtes, surtout privés, acceptent les réservations. En ce qui me concerne, je suis partisan de la règle « premier arrivé, premier installé », et finalement, il y a toujours moyen de trouver une solution… Mais de grâce, amis pèlerins, libérez-vous de vos angoisses, laissez faire la Providence, et vous serez souvent surpris de ce qui s’offre à vous. Et dans tous les cas, si vous réservez et changez d’avis, décommandez, tant pour laisser la place aux autres, que pour votre hôte qui vous attend et vous a peut-être préparé un repas chaud…

Retrouvez toutes les photos du jour 44

Le récit du jour précédent ?

Ou celui du lendemain ?

© Luc BALTHASART, 27/06/2017

4 réflexions sur « 27/04/2015, jour 44 : Périgueux – Saint-Astier »

  1. Bonjour Luc,

    Je viens de lire le récit de ton 44ème jour du chemin et je tiens à te féliciter pour ton style épistolaire, de surcroît exempt de toute faute d’orthographe, pour un peu de m’y serait crue en votre bonne compagnie…
    Bon travail et bon courage pour la suite de l’aventure…

    Bises de la femme de l’alchimiste du percolateur,
    Marianne,

    1. Bonjour Marianne,

      Tout d’abord merci pour ton commentaire très sympathique 😉
      Le style est le mien, et tu m’en vois flatté. Et si j’essaye de m’appliquer quant à l’orthographe, je dois bien t’avouer que j’en laisse passer (souvent par simple distraction), mais qu’on me corrige 😉

      Quant à la suite, elle vient, mais peu à peu, le temps et le courage me manquant parfois tant la tâche est longue 😉

      A bientôt,
      Luc

      PS: sympa le clin d’oeil à l’alchimiste du perco. Remets-lui mon bonjour 😉

Répondre à SAINTEMARIE Marianne Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *