23/03/2015, jour 9: Olloy sur Viroin – Rocroi

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Je me lève ce matin avec un sentiment étrange. Je m’étais mis Rocroi comme premier objectif. Il y a 8 jours, je ne savais même pas si j’y arriverai. Ce matin, en me levant, je sais que ce soir, j’y serai. Je vais laisser derrière moi la Belgique, ses habitants et ses paysages familiers. Mais aux frontières, les peuples et les mentalités se mélangent. Rien vraiment ne change, mais tout sera différent! Le balisage des Amis de Saint Jacques sera remplacé par le balisage des Randonneurs Pèlerins. Les marquages routiers, la signalisation, les immatriculations, l’architecture et l’urbanisme, me paraitront étranges. Mais la marche a ceci de particulier qu’on prend le temps. Les paysages défilent tellement lentement qu’on s’en imprègne à dose homéopathique. On savoure chaque pas, chaque mètre, chaque arbre, chaque recoin. Au détour de chaque virage, l’horizon se dévoile. C’est une façon douce de découvrir le monde.

Je quitte Olloy-sur-Viroin ce matin. Le basculement vers la France sera d’autant plus doux et imperceptible qu’il se fait par une longue traversée. Pas moins de 18 kilomètres de nature en éveil et de ruisseaux chantants m’attendent. Je suis seul être, perdu au milieu des hêtres, et j’aime ces moments de solitude et de paix où rien ne vient troubler le fil de mes pensées. Les souvenirs s’entrechoquent alors, les émotions s’exacerbent. Passé et présent se confondent en une soupe tantôt indigeste, tantôt savoureuse. Des bribes de mémoires ressurgissent, je crie, je trie, je ferme certaines portes, panse quelques plaies. Si j’avais fait ceci, ou cela, serai-je ici, ou là?

Et puis, au fil des pas, je quitte le bois pour pénétrer dans une jeune sapinière envahie de bruyères. Le sentier unique que je suivais aveuglément devient plus chaotique. Des embranchements se dessinent à gauche et à droite, je consulte mon guide, j’hésite. Sur les souches des sapins probablement coupés lors du massacre de Noël 2014, quelques traces de peinture me rassurent. Et puis soudain, un carrefour à 5 branches dénué de tout balisage! Figé sur place, perplexe et contrarié, je ne sais par où aller! Jusqu’à ce que mon regard attiré par une construction un peu moins naturelle, me remette sur le droit chemin. De précédents pèlerins, probablement tout aussi troublés que moi, avaient eu la judicieuse idée d’indiquer la voie par un savant montage de branchage. Rassuré et confiant, je m’y engage pour quitter rapidement cet endroit troublant.

De retour au bois, alors que je pensais être seul au monde, quelques traces d’une présence discrète s’offrent à moi. Des sangliers sont passés par là, probablement dans la nuit, en tout cas, il y a peu. Les marques sont fraiches et franches, bien nettes dans une boue encore tendre qui commence à peine à craquer sous l’effet combiné du vent et du soleil. Il fait beau aujourd’hui, l’air est sain. Les rayons lumineux passent encore dans les branches exemptes de feuilles. Ils me réchauffent et au détour d’une magnifique clairière, j’en profite pour m’installer. Il est midi largement passé, j’ai faim, et l’envie soudaine de prendre le temps au milieu de cette immense forêt. L’endroit est idéal. Un tapis de verdure me tend les bras, doux matelas, l’occasion d’entrer en symbiose avec la nature. J’aurai tôt fait de m’assoupir, bercé par le chant des oiseaux et le bruissement du vent. Quelques instants de plénitude, où rien ne compte, pas même le temps qui passe.

Il me faut cependant reprendre la marche. Ça n’est pas en flânant que j’arriverai au terme de ma journée. Ce soir, un gîte m’attend. Un vrai, mis en place par l’association RP51,  géré d’une main de maître par Chantal et Henry. Je presse le pas dans ce bois qui devient moins hospitalier qu’en début de journée. C’est par des sentes encombrées que je dois me frayer un passage. Des arbres morts me barrent la route, de jeunes poussent me fouettent le visage, des ronces me lacèrent les jambes. Mon bâton peine parfois à écarter ces obstacles, mais c’est en franchissant ce Rubicon que j’arriverai à destination.

Soudain, au sortir de Moulin Manteau, sans vraiment m’en rendre compte, je suis en France. L’air est le même, la soleil, pareil! Mais je ne suis plus chez moi! Une balise GR me renseigne de la distance qu’il me reste à parcourir. Indication qui n’en est pas une, je ne suivrai pas cette voie. Bien trop longue pour moi en terme de temps, c’est par la via Campaniensis que je rallierai Vezelay!

Les bois se suivent et se ressemblent. Celui qui me sépare de Rocroi est tout aussi beau que le précédent. Encore quelques kilomètres, et déjà, le clocher de l’église apparaît en ligne de mire.

Rocroi, ville fortifiée en étoile qui a gardé tout son charme d’antan, là où le temps semble s’être arrêté. A peine arrivé, je me dirige vers l’Office du Tourisme, point de chute pour y retirer les droits d’accès au gîte. Accueille chaleureux, rire et sourire, ici, tout est calme et agréable. A peine une centaine de mètre plus loin, c’est un logement flambant neuf qui s’ouvre devant mes yeux ébahis! Quel soin apporté aux pèlerins. Je suis de nouveau seul ce soir. Je m’en accommode sans difficulté. Cela me permet de prendre mes aises et mon temps. J’étale où je veux mes vêtements fraichement lavés, je déballe mes effets et les dispose en ordre militaire. Il y aura bien un moment où je devrai apprendre à me concentrer, mais pour l’heure, je me disperse dans toutes les pièces.

Le temps de quelques emplettes, je me mets au fourneau pour un rapide spaghetti bolo. Et à peine passais-je à table que voilà Chantal qui débarque. Petit bout de femme dynamique, d’une gentillesse et d’une humanité sans faille, on l’avait prévenue du passage d’un pèlerin ce soir. Son mari n’étant pas disponible, elle s’est donc fait un devoir autant qu’un plaisir de venir s’enquérir de ma présence. Quelques mots échangés, je la sens émue par mon histoire. Et d’ému, il n’y a pas qu’elle. En pleure et réconforté dans ses bras, je savais maintenant que le Chemin voulait bien de moi. Elle fut le premier témoin de mon basculement. Entre randonneur et pèlerin, la nuance n’est pas dans les apparences, mais au fond de soi. Et ce soir, pour la première fois, dans son regard, je me suis vu différent.

Ainsi s’achève mon 9ème jour…

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© Luc BALTHASART, 21/12/2015

6 réflexions sur « 23/03/2015, jour 9: Olloy sur Viroin – Rocroi »

    1. Merci pour ton commentaire. Cela m’encourage à continuer et à vous faire partager un peu de mon aventure, même si l’essentiel doit se vivre et est propre à chacun!
      A bientôt,

      Luc

    1. De troubadour, je ne suis rien si je n’ai pas de lecteurs.
      Ton admiration à mon égard n’a d’égal que la satisfaction que j’ai de t’avoir à mes côtés!
      Merci… <3

  1. Salut Luc,
    De retour de notre voyage au Vietnam, c’est avec plaisir que je retrouve tes récits du chemin avec autant de passion pour la lecture !!! Chaque mots nous fait revivre ce chemin si long mais si merveilleux. a bientôt et bon courage pour les futures pages à venir ………………….. pour nous pas encore terminé, Josette doit être au jour 50 … plus que 25 jours a écrire !!!
    Pierre et Josette

    1. Bonjour Pierre,

      En espérant que votre séjour au Vietnam se soit bien passé et que vous ayez fait le plein de souvenirs et de nems! 😉
      Je te remercie pour tes visites régulières et tes compliments quant à mes articles, cela me touche beaucoup et me conforte dans l’idée que mon style plait, et que vous êtes en attente des prochains articles. Je m’y attèle, mais ça prend énormément de temps entre les tag des photos, la rédaction, les relectures, etc.
      Et en ce qui concerne Josette et son récit? Tu me dis qu’elle en est à votre 50ème jour, mais je n’ai toujours pas eu l’occasion de lire votre histoire. J’ai hâte!!!
      Au plaisir d’avoir de vos nouvelles,

      Luc

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