30/03/2015, jour 16: Montmort-Lucy – Baye

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C’est serein que je me lève ce matin. Si la pluie est encore tombée cette nuit, le ciel m’inonde aujourd’hui d’un généreux soleil. La journée s’annonce sous les meilleurs auspices. Je m’empresse de boucler mon sac, je descends quatre à quatre les antiques escaliers de bois, et rejoins mes hôtes devant une table bien dressée.

Un copieux petit déjeuner me garantit un estomac bien calé jusqu’en fin de matinée. Catherine, comme à son habitude tout sourire, me ramènera ensuite en voiture au centre de Montmort, exactement là où, hier, elle était venue me chercher. La continuité du parcours étant ainsi respectée, ma conscience s’en trouvera apaisée.

Je marche en sifflotant, au rythme de Wilson tapant l’asphalte encore humide. Mais la route ne sera pas longue. A peine quelques centaines de mètres et déjà, je m’engage à travers champs pour des kilomètres d’une perspective rectiligne sans que rien n’accroche le regard. Peu importe, cela n’atteint nullement mon moral. Le corps et l’esprit s’habituent à tout, cela fait bien longtemps que j’ai appris à appréhender le Chemin sans sourciller. D’autant que j’apprécie particulièrement ces longues traversées en solitaire, accompagné du chant des alouettes et de la bergeronnette. Cela permet de penser, et il me plaît en cette matinée à imaginer le déroulement de la journée.  Je vais retrouver les enfants et maman à Baye. Des retrouvailles placées sous le signe de l’émotion. Quelles seront nos réactions? Allons-nous nous étreindre ou rester sur la réserve? Et qu’allons-nous donc faire de cette après-midi ensoleillée? Ils vont probablement me bombarder de questions, je ne saurai peut-être pas répondre à tout. Car il est des sentiments et des émotions que l’on ne peut traduire avec des mots. Une seule certitude, celle que le temps passera trop vite, et que la séparation risque d’être déchirante. Ce soir, je les quitterai pour 2 mois et demi sans discontinuer. Ils retourneront à leurs habitudes, ils reprendront leur vie. Quant à moi, je continuerai à m’enfoncer dans la France, là où mon accent me trahira de plus en plus, là où septante et nonante seront incongru.

La pluie de la nuit aura eu raison du court trajet qui devait se dérouler sans encombre. A l’entrée de Baye, le sentier devient marécage. Une immense flaque inonde le Chemin. Que je tente de passer par la droite, mes pieds s’enfoncent jusqu’à la cheville, à tel point que je  n’ai d’autre choix que d’escalader à travers bois, me frayant un passage entre troncs et jeunes pousses, les ronces me lacérant les mollets comme autant de cilices. Mais j’ai connu pire et j’ai survécu, il en sera de même ici ! Quant enfin je rejoins la route, j’aperçois au loin l’ancienne gare.  Il ne me reste plus qu’à me lancer à l’assaut du village, et retrouver l’église, lieu convenu pour les retrouvailles.

Nous aurions voulu le faire exprès que nous n’aurions pas pu faire mieux. Alors que je remontais la dernière petite rue, l’imposante voiture de Jean-Marie apparaît au tournant. Face à face, comme au ralenti, la distance nous séparant se réduit inexorablement. Puis il se gare, les enfants bondissent hors du véhicule et courent vers moi. C’est une pluie de baisers qui me comble de joie. Nos bras nous semblent bien faibles à trop vouloir nous enlacer. Maman n’est pas en reste, je la sens émue, mais fidèle à elle-même, elle est sur la réserve. On s’esclaffe, on rit, on parle, je réponds aux premières interrogations. Cyril s’empresse d’enfiler mon sac, Elisa joue au paparazzi. Tout va si vite, j’en ai la tête qui tourne. C’est un tourbillon d’émotions. J’avais pris l’habitude de vivre au rythme de mes pas, seul, au fond des bois. Me retrouver confronter à tant d’agitation m’enivre. Puis on réfléchit. Où aller? Sézanne n’est pas loin. C’est le plus gros bourg du coin. Aussitôt dit, aussitôt embarqué, coincé dans la bmw, nous voilà partis.

Sézanne est un village tranquille où la vie s’écoule au ralenti. Si il s’enorgueillit de posséder en son cœur une église aux dimensions impressionnantes, affublée d’ouvroirs, sortes de petites échoppes enchâssées en ses flancs, cette cité médiévale remanié à travers les siècles a su garder son charme d’antan, avec sa promenade, ses remparts, et ses vestiges. Et en ce lundi ensoleillé où chacun est parti travailler, le village semble presque déserté. Seul subsiste en cette fin de matinée, un bar d’autrefois, au pompes à bières remarquables ! Le temps d’un apéro, que déjà il nous faut choisir un resto.

Nous n’allons pas tergiverser longtemps. Au premier établissement, malgré son apparence défraichie, nous nous y engouffrons affamé. Quelle qu’en soit la carte, cela me changera de mon triptyque habituel fromage-saucisson-pain. Et de fait, je vais me régaler de ma première andouillette, accompagné d’une montagne de frites ! Le vin, choisi avec soin, titille mes papilles, plus habituées à la saveur de l’eau qu’à ce divin breuvage. C’est Byzance !

Une fois repus, nous tachons de profiter au mieux de chaque instant. Le temps semble avoir raccourci son vol, les heures passent à une allure folle. On parle, on rigole. J’essaye au mieux de leur faire comprendre mon quotidien. Il n’est pas facile de transmettre des émotions. Je pense qu’au fond d’eux, ils comprennent que je suis bien et heureux, que malgré les privations, les douleurs et les difficultés, je suis porté par un sentiment de bien-être et de liberté. Elisa est rassurée, Cyril est intrigué. Il m’a connu angoissé, il me voit maintenant apaisé. Par ses questions, je devine en lui le germe de la curiosité. Un jour, peut-être, suivra-t-il mes traces. Je lui souhaite. Qu’il y trouve cette sérénité que j’éprouve. Je les sens surtout fiers, et de cela, je suis comblé.

Nous reprenons la voiture pour finir l’après-midi. En traversant les quelques paysages qui font mon quotidien, ci et là, la route croise le Chemin. Je me revois hier ou ce matin, parcourant ces sentes boueuses. A détour d’un bosquet, improbable, j’aperçois Lieven. Un peu plus loin, un autre Chemin. Peut-être serai-je là demain, le cœur empli des souvenirs de la veille.

La fin de la journée approche à grands pas. On aurait voulu que ces instants fugaces durent une éternité. Mais ils doivent encore retourner. Quelques heures les séparent de Liège, là où moi, j’aurai mis 16 jours pour arriver. Devant le Foyer de Charité qui, sous leurs yeux ébahis, sera ce soir mon château, c’est l’heure des au revoir. On s’étreint une dernière fois, on a du mal à contenir nos larmes. Maman me glisse un sac aux allures de panier garni. Saucisson, fromage, petits œufs en chocolat, bonhomme au sucre, rien ne manque ! Pas même un petit mot glissé dans une enveloppe, elle aussi garnie.

Je ne m’attarde pas, mon cœur se serre d’un coup en les voyant s’éloigner. Que pensent-ils de cette journée? Qu’en auront-ils retiré, que retiendront-ils? Pour ma part, je suis heureux et rassuré de les voir rassuré. Je sais qu’ils pourront maintenant affronter les prochains mois sans crainte. Un dernier signe de la main, et je les regarde s’en aller.

Alors que j’ai passé la journée à leur expliquer les privations, les bivouacs et l’abnégation, je me transforme pour un soir en châtelain. A Baye, il existe une communauté religieuse qui a pris ses quartiers dans une humble demeure. J’y suis accueilli, un peu intrigué par tant de fastes apparents, un peu aussi angoissé à l’idée de me retrouver embobiner dans un mouvement sectaire.

Sur le seuil, une jeune femme souriante me tend la main en s’avançant vers moi.  Elle s’inquiète de mon état et s’empresse de m’expliquer le fonctionnement de la communauté. Rien de bien méchant, finalement. Un ensemble de personnes, soucieuses de vivre pleinement leur foi, ayant décidé de mettre en commun leurs biens et leurs savoir-faire, sous la directive d’un prêtre et dans la continuité de leur père fondateur. Rassuré et confiant, Elisabeth m’invite alors à la suivre pour me montrer ma chambre et m’en confier la clef.

C’est spartiate, un peu vieillot, mais propre et fonctionnel. Un lit, une penderie et un bureau suranné. Les douches, communes, se trouvent au fond du couloir. Le souper, à 20h, se prendra dans la salle commune, en présence de la communauté, et avec les retraitants. Je n’ai plus qu’à m’installer, me laver, et patienter.

A l’heure du repas, je m’exécute et me rends dans la salle à manger. Je découvre alors une vaste assemblée dans un brouhaha confiné et bien organisé. Marie-Geneviève m’invite à prendre place, tout en précisant que deux autres pèlerines nous ont rejoint. Deux autres pèlerines? Je retrouve Alice la cycliste, en compagnie de son amie Rineke. L’occasion pour moi de parfaire mon anglais, à défaut de mon néerlandais famélique, et d’en apprendre un peu plus sur ce binôme hétéroclite.

Rineke et Alice ont entrepris leur pèlerinage un peu par hasard. Amies de longue date, c’est au court d’une soirée bien arrosée qu’elles se sont un jour mises au défi de rallier Saint Jacques. Mais si Rineke aime marcher, Alice ne s’en sentait pas capable. Qu’à cela ne tienne, le pari était lancé, et elles se sont accordées. Année après année, elles consacrent donc deux semaines par an à pérégriner. L’une à pied, l’autre… A vélo! Et le soir, de se retrouver à l’étape, et de partager gîte et couvert. Ce sont de bonnes vivantes, et nous aurons vite fait de trouver dans la bouteille de vin un terrain d’entente.

Communauté religieuse oblige, le repas se passe dans un certain recueillement. Passé les bénédicités et les bonnes intentions de quelques convives, un potage au légume composera l’entrée, suivi d’une assiette de charcuterie et d’une salade de pomme de terre. C’est bon, c’est frais, c’est goûtu. Nous sommes à la table du Père François-Jérôme, dont j’apprendrais qu’il a également parcouru le Chemin de Compostelle à vélo. Rineke, à mes cotés, ne cesse de me taper le coude pour que je remplisse son verre. Finalement, c’est à nous trois que nous jetterons un sort à la bouteille ! Je n’ai pas fini de rire avec ces deux là…

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© Luc BALTHASART, 17/02/2016

4 réflexions sur « 30/03/2015, jour 16: Montmort-Lucy – Baye »

  1. Bravo, bravo et encore bravo pour ton récit tellement agréable a lire et en plus je suis ravi d’avoir fait la connaissance de ta maman et de tes enfants qui ont bien une ressemblance avec toi.
    Luc nous attendons avec impatience le moment de notre rencontre celle de Saint Palais bien sur mais aussi celle de votre venue chez nous; amitiés et à très bientôt de te relire.

    1. Merci, Pierre, pour cet enthousiasme communicatif !
      Saint Palais est encore loin, mais ne vous en fait point, j’ai encore fraichement en mémoire notre première rencontre à la sortie de la supérette, et ensuite lorsque je vous ai rattraper à la chapelle du sommet après la stèle de Gibraltar 😉
      A bientôt,

      Luc

  2. Un talent d’écrivain! Un grand merci pour ton récit. Je me retrouve beaucoup dans la phrase où tu parles de ton accent qui te trahira et les septante et nonante, idem pour moi 🙂 En France on me croit toujours Belge, à croire que vous êtes plus connu que nous ! Je lierai la suite de tes aventures demain, Ultreia peregrino 😉

    1. Un talent d’écrivain? Et c’est une écrivaine de talent qui me dit ça? Voilà mon égo regonfler à bloc ! Merci tout plein…
      Quant à nos accents, ils sont le reflet de notre provenance, de notre personnalité et de notre éducation. Soyons en fier et mettons les en avant !
      Et oui, nous avons en commun notre septante et notre nonante, mais vous avez en plus et selon toute logique, un huitante que nous n’avons pas. Mais c’est vous qui avez raison, je plussoie.
      A bientôt,

      Luc

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