19/04/2015, jour 36: La Souterraine – Bénévent l’Abbaye

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Moi qui d’habitude ai le sommeil léger, je m’étonne des merveilleuses nuits que je passe. Est-ce dû à la fatigue conséquente des efforts quotidiens? Je ne pense pas. J’ai trouvé ici une paix intérieure, une tranquillité d’esprit, une sérénité jamais égalée. Loin de tout, des tracas et des soucis, malgré parfois l’inconfort de mon couchage, je n’ai plus l’angoisse de me lever sous la contrainte. Je fais ici ce qui me plaît, quand cela me plaît, et tel que j’en ai envie. Je goûte à la vraie liberté, bien loin des carcans d’une vie trop bien rangée.

La nuit fut pourtant courte et agitée. Repus d’un repas trop riche, j’ai d’abord eu du mal à m’endormir. Mais c’est surtout le vent qui m’empêcha de sombrer profondément. Il n’eût cesse de souffler tout au long de la nuit, et j’avais l’angoisse qu’une branche fragilisée ne cède sous l’emprise d’une bourrasque plus violente que les précédentes. Le sommeil finit toutefois par l’emporter sur mes craintes, au prix d’une grasse matinée de pèlerin: il est huit heures lorsque j’ouvre un œil, rassuré d’être toujours vivant !

Mon guide annonce aujourd’hui un trajet composé majoritairement de routes. Pas vraiment de quoi motiver les troupes, mais pas non plus de quoi les décourager. Je découvre chaque jour une France magnifique, paisible et endormie, des paysages grandioses, et des villages qui rivalisent parfois de beauté. Je croise des habitants souriants et généreux, des anciens, comme ils disent, qui ont de tout temps vu passer ces pèlerins. Peu importe si j’y accède par des routes ou des sentiers, j’ai décidé d’accepter ce Chemin tel qu’il est, parfois austère, quelquefois parsemé d’embûches, mais jamais hostile.

Je repasse forcément par La Souterraine pour y faire estampiller ma crédentiale. Je traine un peu dans les rues et les ruelles. Je ne sais pas pour quelle raison j’hésite à démarrer. Ou plutôt si, je sais, mais je ne veux point me l’avouer: je cherche inconsciemment à retrouver Olivier, tenaillé par l’envie de lui annoncer qu’il est pour moi cet Olivier dont Pascal de Reims m’a tant parlé.  Mais tout comme la veille, je ne le trouverai pas. Je vais donc encore un peu garder mon secret, persuadé que nous finirons par nous croiser à nouveau.

J’entame ma marche, avec la volonté d’avancer à mon rythme, et de profiter de ces derniers instants de tranquillité. Je sais pertinemment que je ne suis plus seul: outre lui, il y a aussi ses amis, et tous ceux que je ne connais pas encore. Et de fait, à défaut d’Olivier, je vais croiser aujourd’hui un couple de pensionnés et trois allemandes jacassantes qui me dépasseront à toute allure. Je verrai même un chasseur amateur d’un genre un peu particulier, occupé à placer des pièges, bien décidé à capturer ce rat musqué signalé dans son pré. Le parcours est finalement très agréable. Asphalté, certes, mais par de petites routes de  campagne qui zigzaguent à travers champs et prairies.

J’aurais aujourd’hui l’agréable surprise d’avoir mon ami Damien au téléphone. J’avais manqué de peu ses parents à l’entrée de Troyes, alors qu’ils descendaient en Espagne pour aller le retrouver. Voilà maintenant qu’ils remontent en famille depuis Compostelle pour rentrer en Belgique. Il avait bien calculé mon avancée, il savait que nous étions dans la même région. Peut-être aura-t-il l’idée de venir me dire bonjour, mais il faut pour cela encore convaincre son père, exténué par ces longs trajets en camping-car et une météo trop capricieuse à son goût. Pour ma part, déçu du rendez-vous manqué de Troyes, c’est sans fonder d’espoir que je poursuis ma route. Ne rien attendre, c’est aussi se réserver l’agréable surprise de les retrouver, tout en se préservant de la déception s’ils ne devaient pas être au rendez-vous.

Mais lorsque j’arrive à Bénévent l’Abbaye, je n’y verrai aucun comité d’accueil prêt à m’acclamer le rosé frais à la main. Je m’en étais fait une raison, et même si les voir eut été pour moi une véritable joie, je ne peux leur en vouloir.

Il est encore bien trop tôt pour me présenter au gîte que j’avais réservé en téléphonant ce matin. Je traîne un peu dans le village, je m’assieds quelques instants sur un banc. J’en profite pour visiter l’église. J’attends patiemment que l’heure tourne, jusqu’à dix-sept heures tapantes !

Lorsque je me présente à la porte de ce qui semble finalement être une chambre d’hôte, j’ai toutes les raisons de croire que la qualité du gîte sera à la hauteur de la maison que j’ai devant moi. La propriétaire au demeurant charmant est très professionnelle. Elle m’invite à pénétrer dans un vaste hall d’entrée à la décoration chinée et très recherchée. C’est très classe, presque trop propre. J’hésite à qualifier cet endroit de maison de poupée ou de maison témoin où tout semble figé. Elle me demande de la suivre, nous traversons une salle à manger tout en boiseries rustiques et chaleureuses. Elle ouvre une porte décorée d’un magnifique petit rideau vichy, pour me faire entrer dans ce qui est le gîte destiné aux pèlerins.

Nous y voilà, donc ! Si effectivement nous sommes bien dans une maison de chambres d’hôtes, le local dissimulé et un peu à l’écart qui nous est réservé n’a pas le charme suranné de la demeure. Ici, c’est le pratique et le fonctionnel qui est mis en avant. Tout est propre et aseptisé: un plan de travail qui fait office de cuisine, une salle de bain, une douche, un wc séparé, et une chambre à coucher. De quoi loger six pèlerins éreintés, largement de quoi satisfaire mes exigences, même si j’aurai préféré être hébergé dans une chambre individuelle décorée avec soin.

Là où je fus un peu plus surpris, c’est justement dans cette approche professionnelle et mercantile. Les règles à suivre sont bien indiquées sur un tableau mis en évidence. Les chaussures et les sacs à dos doivent rester à l’endroit prévu. Le souper est proposé, mais en supplément, tout comme le déjeuner. Les draps? C’est cinq euro ! Une couette? Même tarif ! L’aspect commercial trouvera son apogée dans un petit écriteau judicieusement placé  à coté de la porte: N’oubliez pas de payer !

Je serai étonnamment seul ce soir. J’en profite pour me raser soigneusement, je prends une douche bien chaude, je fais mes quelques lessives. Je me contenterai d’une boite de ravioli en guise de souper, et je passerai une partie de ma soirée à frotter mes chaussures et à les parfumer d’un talc mis à disposition et, pour une fois, compris dans le prix.

Le temps me paraît long ce soir. Je n’ai aucune distraction, rien à observer, pas de nature qui s’endort comme décor. Je couche sur papier quelques pensées et le déroulement de ma journée. Je ne tarderai pas à me coucher, sous trois couvertures, faisant ainsi l’économie d’une couette et du chauffage, qui de bien entendu, est coupé !

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© Luc BALTHASART, 21/06/2016

10 réflexions sur « 19/04/2015, jour 36: La Souterraine – Bénévent l’Abbaye »

  1. Et oui on dort bien sur le camino même constat c’est la paix intérieure. Des gîtes orientés business à mon avis tu as du en voir beaucoup sur la suite du voyage merci à nouveau pour ton récit à bientôt !

    1. Ces merveilleuses nuits sont probablement dues au détachement et à la sérénité, à l’énergie apaisante qui émane du Chemin. C’est un autre rythme, une autre vie, une autre façon d’appréhender ses journées.

      Quant au business fait sur le dos des pèlerins, il ne faut pas se leurrer: pour certains, et je pense principalement en Espagne, nous sommes une manne financière. Je n’ai cependant pas trop souvent ressenti cet aspect commercial. Sauf ici, où cela m’a un peu dérangé, heureusement compensé par l’accueil de la tenancière, la bonne tenue et l’organisation des lieux.

  2. Mon cher Luc. Cette approche mercantile m’attriste réellement.
    Il faut avouer que la voie de Vezelay reste plus accessible car beaucoup moins empruntée que celle du puy pour laquelle les pratiques purement commerciales sont légion et sont installées depuis déjà bien longtemps.
    Le plus triste réside dans le fait qu’ils aient poussé le vice jusqu’à rajouter une liste « d’options » payantes. Je comprend que l’on mette un prix pour une prestation, mais à ce moment là elle doit être la même pour tous quand il s’agit de pèlerins.
    libre a chacun de profiter ou pas. Vive le DONATIVO.
    A bientôt.

    1. Bonjour Fred,

      quel plaisir d’avoir de tes nouvelles, comment vas-tu?
      Tu as raison, la voie de Vezelay reste certainement plus authentique que celle de Puy. Mais voilà: certains y ont quand même bien compris l’intérêt qu’ils pouvaient retirer de pèlerins qui n’ont parfois pas d’autre choix que de payer. Sans compter que certains pèlerins ne parviennent pas non plus au niveau de détachement nécessaire, et exigent un minimum de confort, quitte à allonger de l’argent ! Dans le cas présent par exemple, pourquoi proposer un couchage à un prix démocratique, si c’est pour le gonfler en demandant un « supplément couette »? Idem pour le déjeuner, qui devrait, dans le cadre d’un accueil pèlerins, être inclus dans l’offre de base. Parce que si j’avais pris toutes les options (souper, déjeuner, couette, draps, etc), je me retrouvais quasi au même tarif qu’une chambre d’hôte tout confort !

      Nous sommes donc bien d’accord: le prix devrait être le même pour tous les pèlerins, démocratique et tout compris, sans quoi, on ne s’annonce pas « accueil pèlerins », mais « chambres d’hôtes ». Le but n’étant pas de faire du profit à tout prix mais de simplement rentrer dans leurs frais… D’où, et je te rejoins: vive le donativo ! A la condition sine qua non que les pèlerins respectent aussi le principe !

      Te souviens-tu, lorsque je suis passé à Roquefort alors que tu y étais hospitalier, j’étais parti sans me rendre compte que j’avais justement oublié de mettre ma participation dans la boite ! Je me suis fait un devoir et une obligation de revenir sur mes pas, quitte à perdre 30 minutes et autant de kilomètres à refaire, pour venir déposer mon contribution à la bonne tenue, à ton accueil et à l’excellent repas que tu nous avais concocté !

      A bientôt,

      Luc

      1. je vais parfaitement bien, comme tu le dis certains pèlerins demandent de plus en plus de choses. Cela est me semble t’il peu compatible avec l’idée que l’on doit avoir d’un pèlerinage.
        A ce sujet le refuge ou je sévissait avait une phrase toute faite en cas de demandes spéciales: « le pèlerin n’exige rien, il remercie ».
        Je me souviens parfaitement de l’anecdote que tu raconte mais je dois avouer que j’aurais été surpris que tu ne laisse rien mais pour autant la règle du donativo est la même pour tous et la méthode employée permet de ne jamais savoir qui laisse combien ou qui ne laisse rien.
        pour information je reprendrais mon poste d’hospitalier l’an prochain pour rester dans l’esprit de ce chemin qui m’apporte tant de chose.

        1. J’explique bien le principe du donativo à plusieurs reprises dans mes articles:

          *Donativo: système de libre participation aux frais pour le gîte et le couvert, spécifique aux Chemins de Saint Jacques. Ainsi, en fonction de la satisfaction, de ce qui lui est offert, et de ses moyens, le pèlerin donnera le montant, laissé à sa discrétion, qui lui semble le plus juste. Cependant, ce système tend à disparaître du fait de l’abus de certains randonneurs déguisés en pèlerins, ou de pèlerins peu scrupuleux, qui profitent et abusent du système. Amis pèlerins, lorsque vous prendrez le Chemin, respectez donc le principe du donativo!

          En aucun cas, je n’aurai voulu partir sans y laisser mon dû ! Et pour ma part, ma devise a toujours été et se rapproche fortement de ta pensée: « Un pélerin n’exige rien, il se contente de ce qu’on lui offre ! »

          Quant à ceux qui ont auront la chance de t’avoir comme hospitalier, je suis certain que tu seras aux petits soins pour eux ! Ne change rien, ni à tes méthodes, ni à tes recettes, encore moins à ta façon d’être ! 😉

          1. Ces de compliments me touchent et c’est avec émotion que je te remercie.
            Mon but est d’apporter le plus de réconfort possible quant je suis dans les gites. Ta satisfaction est une parfaite récompense. Merci et ne change rien non plus.

            1. Quoi de plus réconfortant que d’arriver dans un gîte propre et bien tenu par un hospitalier accueillant et souriant comme tu l’as été !
              Rien ne manquait: dans la simplicité la plus totale, sans fioriture, sans jambage, tu étais simplement là, toi-même, joviale, sympathique, généreux, comme si tu recevais des amis ou des membres de ta famille !
              Merci de nous avoir reçu « chez toi », de t’être confié à moi, de nous avoir regonflé le moral, gratifié de tes précieux conseils, de ton histoire, de ton pèlerinage. 😉

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