25/04/2015, jour 42 : La Coquille – Sorges

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–>   Magiques bouchons d’oreilles !

Malgré les nuits à veiller sous les regards inquisiteurs et les chants rauques des grenouilles en rut, je ne les avais jusqu’à présent jamais utilisés. Sous ma tente, dans l’obscurité où, malgré le sommeil, tous les sens restent en éveil, entendre était effectivement une question de sécurité. Mais à la perspective de partager la nuit avec quatre autres pèlerins c’était donc l’occasion rêvée de les sortir pour la première fois de leur gangue de protection. D’autant qu’Henri et Patrick ont déjà titré Dannis de ronfleur infernal !

Ces petits bouchons, probablement conçus par des ingénieurs de la Nasa et issus de la recherche spatiale,  étaient censés me garantir un sommeil serein, loin des ronflements de mes voisins, tout en me permettant d’entendre mon réveil. Je n’y croyais guère, malgré qu’ils m’aient couté un pont !

La promesse fut pourtant tenue… Lorsque ce matin, j’ouvre enfin les yeux, dans un silence monacal, je pensais que tout le monde dormait encore. Mais je me retrouve étonnamment seul au milieu d’un dortoir bien rangé ! Où sont donc mes compagnons? Où sont leurs sacs et leurs bâtons? Envolée la kyrielle de chaussettes et de slips qui séchaient sur les dossiers de chaise, disparus les effets personnels, les topo-guides et les diverses cartes. Je suis presque angoissé à l’idée de n’avoir rien entendu ! Mais en même temps, quelle agréable nuit de silence.

Je prends mon temps pour m’habiller. Je savoure la douce caresse du chauffage électrique qui souffle sur ma peau, alors qu’hier encore, les dernières frimât du printemps qui s’installe ralentissaient mes premiers gestes.

Lorsque je sors enfin de la chambre, bon nombre d’hôtes ont déjà levé le camp. Nadège et Daniel, ainsi que Dannis, manquent à l’appel. Henri, ses deux bâtons déjà brinquebalants à ses poignets, est sur le départ. Il règle une dernière fois sa montre, réinitialise les paramètres de son bracelet connecté, et nous salue d’un Buen Camino en démarrant de son pas chaloupé si caractéristique. Seul Patrick déjeune encore, en compagnie de Dominique. La baguette croustille, les confitures toutes plus colorées les unes que les autres décorent la nappe trop blanche, le café frais du perco fume encore. Je n’ai qu’à prendre place pour les rejoindre et me mêler à la conversation. On parle étape. Si Daniel et Nadège ont fait un mystère de leur parcours, Dannis et Henri s’en sont allé pour un long trajet de presque 35 kilomètres. Patrick, quant à lui, envisage de s’arrêter à Thivier. Et cela me sied !

Sans vraiment se concerter, ni lui demander, nous décidons donc tacitement de faire la route ensemble. Nous remercions Dominique, qui a maintenant la lourde tâche de ranger, nettoyer, frotter et astiquer, ainsi que de faire les courses pour prévoir le souper des prochains pèlerins de passage. La vie d’hospitalier est ainsi rythmée, partagée entre le bonheur d’accueillir, l’empathie et l’abnégation, et la frustration chaque matin de rester sur place pendant que d’autres continuent leur Chemin. Être au service des autres sans rien attendre en retour, se nourrir de leurs récits, de la passion qui les anime, se ressourcer de leurs regards et de leurs gratitudes d’avoir fait de cette halte un havre de bien-être et de ressourcement. C’est une autre façon d’appréhender le Chemin: permettre aux autres que le leur se passe dans les meilleures conditions. Une autre façon aussi de vivre cette expérience, à laquelle je goûterai certainement un jour !

Pour ce qui nous concerne, Patrick et moi, il est temps de partir. Nous coordonnons gaiement nos pas sur un tempo rapide, et malgré la grisaille et le crachin collant, nous sommes certains que la journée se passera bien ! Il y a à peine quelques jours, nous ne nous connaissions pas. Issus d’horizons différents, rien ne nous aurait amené à nous rencontrer. Sauf le Chemin… Et aujourd’hui, 25 avril de l’an 2015, nous voici réuni à partager la même expérience qui marquera à jamais nos vies. Nous sommes sur la même longueur d’onde, avec le même humour sarcastique, la même dérision, mais également la même profondeur dans nos paroles. On parle de nos vies, de nos passions, de nos espoirs et nos désillusions. Notre degré d’intimité prendra même une drôle de tournure lorsqu’il m’avouera souffrir de froyon, irritation du pli inter-fessier inhérente au frottement et à la transpiration. Voilà bien un terme que je suis surpris d’entendre sorti de sa bouche. C’est Olivier, victime aussi de cet inconfort, qui lui aura appris, en lui suggérant comme solution de glisser une feuille de papier toilette bien placée. Une anecdote parmi d’autres, qui nous vaudra des fous rires garantis tout au long de notre périple et bien au-delà.

En quelques phrases, en quelques gestes, il me semble si bien le connaître qu’il est maintenant un ami. Qu’il vienne à choir, je le relèverai, qu’il perde espoir, je l’encouragerai. Qu’il se blesse? Je l’aiderai à se soigner. Nous ne sommes plus deux êtres qui s’ignorent, nous ne sommes plus des randonneurs, nous sommes de la famille des pèlerins, presque frères. Mais je ne savais pas encore que ces paroles trouveraient tout leur écho dans quelques jours, à l’occasion de son anniversaire !

La pluie nous quitte en fin de matinée, pour enfin faire place à une belle journée qui s’accorde avec la sérénité des lieux. J’ai en effet la très nette impression que plus j’avance, plus le calme m’envahit. Et si il y a déjà bien longtemps que les petits tracas du quotidien sont passés au second plan, maintenant, aux portes des villages endormis, au détour des fermes d’antan, au rythme de mes pas, le temps prend une autre dimension. Il arrondit les angles, étouffe les cris, adoucit les soucis. Les maux ne sont désormais plus que des mots qui se font oublier.

Dans la ville animée d’un marché qui s’ébroue, nous nous réfugions dans l’église avec l’illusion de nous y réchauffer. La halte n’est toutefois pas veine, on en profitera pour se dessaper des vêtements de pluie devenus inutiles.

Au sortir de l’édifice, les commerçants remballent leurs étales, tandis que les derniers chalands tentent de profiter des prix bradés. C’est une joyeuse cohue à laquelle nous nous mêlons pour y découvrir les produits locaux, acheter un peu de charcuterie, et chose inédite pour ma part, voir des chicons vendus sur pied. Hé oui, je suis belge, ne l’oubliez pas ! Pour moi, un chicon n’est pas une endive !

Nous avions convenu de nous arrêter ici. Patrick a les coordonnées d’un gîte prêt à l’accueillir, alors que je comptais trouver de quoi bivouaquer au sortir de la ville. Mais à deviser, nous n’avons pas vu les kilomètres défiler, et lorsque l’on s’aperçoit qu’il est à peine midi, on se regarde bêtement en se disant qu’on continuerait bien jusque Sorges pour surprendre Henri et Dannis.

On trouvera un abri de bus, pas des plus propre, mais avec un banc. A peine le temps de diner que notre entrain nous pousse à avancer ! Patrick est une machine qui tape du sol de son bourdon sans jamais faillir. Il a bonne allure, tant que je me laisse parfois distancer, pour le rattraper à sa prochaine halte. Il fait alors mine de m’attendre, avant de repartir de plus belle. Et je suis sans broncher ce rythme qu’il m’impose malgré lui.

Les affiches de loto aux lots originaux se suivent et se ressemblent, et région oblige, il n’y manque jamais les incontournables canards gras avec ou sans foie. Et tout comme il y a quelques jours, je m’en amuse et me fais la même réflexion: ici, les vraies valeurs priment. On ne court pas l’ordinateur ou le gsm connecté, mais on pense à sa panse !

Une belle alternance de routes et de sentier aujourd’hui. Des longues perspectives, suivi d’interminables courbes, quelques hameaux disséminés de part et d’autre de la chaussée, des crêtes, des creux et des vallons en pentes douces. J’aperçois au loin une prairie agitée d’une multitude de points blancs. Patrick m’apprendra qu’il s’agit des premiers élevages de canards que nous croisons. Après le Vert d’hier, nous entrons maintenant dans le Périgord Blanc. Demain, ça sera sa capitale, Périgueux. Ça sent donc le foie gras et les truffes, les gésiers confits et les pommes salardaises. Henri appréciera, lui qui nous en parle tant en salivant !

Nous arrivons à Sorges en fin d’après-midi. Sur le pas de la porte du gîte, nous retrouvons Henri et Dannis se prélassant au soleil. Je ris de voir leur air surpris lorsque nous apparaissons à leur regard au coin de la rue. Cela fait déjà une bonne paire d’heures qu’ils sont arrivés, et ils se doutaient bien peu que nous parviendrions à boucler les 35 kilomètres. Propre comme des sous neuf, leurs lessives étendues sur les séchoirs mis à notre disposition, ils n’ont plus qu’à profiter d’un repos bien mérité, alors que Patrick et moi, exténués, devons encore procéder à notre toilette journalière. Mais nous y sommes arrivés, fier d’une journée de marche bien remplie, et heureux de passer la soirée avec nos amis.

Le gîte est de nouveau tenu par une hospitalière des plus originale, Henie, une hollandaise un peu bohème, à l’allure élancée et au visage affûté comme une lame de couteau. Elle est d’une énergie débordante, et il en faut, pour tenir comme chez soi une maison telle que celle-là, à recommencer chaque jour tel Sysiphe, les mêmes tâches quotidiennes.

Henie a le cœur sur la main. Au petit soin des pèlerins, elle s’enquière dès notre arrivée de notre état de santé et si nous ne manquons de rien, avant de nous faire faire le tour du propriétaire en sa compagnie. Une grande salle de bain, une pièce de vie bien agencée, une vaste chambre à l’étage. Elle nous propose ensuite un rafraichissement, et nous invite d’emblée à faire comme bon nous semble. Nous sommes ici chez nous, cette maison est la  nôtre, elle fait tout pour que nous nous y sentions bien, et elle y parvient.

Après une douche bien méritée, nous profitons de la préparation d’un mariage pour visiter la petite église située juste en face du gîte. Un bel édifice roman aux larges piliers massif et aux petites fenêtres, pourtant étonnamment claire. Les répétitions vont bon train, les jeunes mariés se concertent avec monsieur le curé. Nous nous faisons discret, le temps de quelques photo et d’un tour complet.

Sur le parvis, on demande à Henie de nous prendre en photo. Petit souvenir fugace d’une bande de joyeux lurons. Les reverrais-je encore demain, la semaine prochaine, dans un mois? Arriverons-nous ensemble à Saint-Jean-Pied-de-Port, puis à Compostelle? Et si non, resterons-nous en contact, tout au long du Chemin et par la suite lors du retour dans nos vies respectives? Je n’en sais encore rien…

Le soleil commence à décliner, l’heure de l’apéro a sonné. Nous regagnons nos pénates, dans une agréable odeur de plat mijoté. Les chips sont sur la table, une bouteille de vin léger nous attend. Décidément, Henie sait y faire. Et ça sera comme ça toute la soirée, comme toutes les soirées, dans une joyeuse ambiance toute en simplicité. On se refait comme hier le film de la journée. Dannis, avec qui nous conversons habituellement en anglais, est heureux de retrouver sa langue natale en compagnie de Henie. Nos paupières deviennent de plus en plus lourdes, nos rires sont plus espacés et les silences se font plus pesants. Les veillées ne sont jamais très longues entre pèlerins éreintés. Demain est une autre journée, il est tant d’aller nous coucher…

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© Luc BALTHASART, 02/02/2017

8 réflexions sur « 25/04/2015, jour 42 : La Coquille – Sorges »

  1. Quel toujours et même bonheur que de parcourir tes récits, tous aussi captivants les uns que les autres !!!…
    Que de belles rencontres ici et là, dans ce beau coin de France qu’au final je connais si peu… et pourtant aux portes de ma propre ville.. si je puis dire. Qu’il doit être agréable de découvrir ce beau Périgord dans de telles conditions !
    Et, au fait, oui, je t’aperçois de temps à autre sur face book avec plaisir…. souvent en compagnie de ta belle épouse. (au risque de me répéter, vous formez vraiment un Très beau couple).
    Mais, ce me semble, il n’y a guère de femmes sur le chemin de Saint-Jacques…… ou alors, je suis passée à côté, sans les voir 🙂
    Quoi qu’il en soit, je continuerai de suivre ces merveilleux récits qui rendent mes journées plus joyeuses, et te remercie de nous les faire partager… C’est un réel bonheur pour moi.
    Bien sincèrement et amicalement.
    Béatrice.

    1. Toutes les régions sont belles à découvrir au rythme des pas. Se laisser imprégner des paysages, profiter de chaque instant, s’arrêter où bon nous semble pour admirer une fleur, un papillon, une vue, ou simplement discuter avec les habitants ou se taper la conversation avec une vache !

      Pas de femmes sur le Chemin? Rinneke, Alice, Christiane, Nadège, ne sont que les premières rencontrées. Je vous parlerai encore de Josette, Danielle, une autre Christiane , Isabelle, Anna, Ria, Helen et Kitty, « Picasso et sa schtroumpfette » (dont je n’ai jamais su les prénoms), Anne-Claude, Jenyfer, Bridget, Deborah, Françoise, Anne et leur amie, ainsi que la foule d’anonymes, simplement croisées ou avec qui je n’ai échangé que quelques mots. Le nombre de femmes est équivalent à celui des hommes, à la différence qu’il y a peut-être plus d’hommes seuls que de femmes. Mais ne vous y détrompez pas, il y a énormément de femmes seules également 😉

      A bientôt, Béatrice, et merci pour tous vos commentaires et vos compliments (tant pour mes textes qu’au sujet de ma femme 😉 )
      Luc

  2. Merci Luc pour ce gentil commentaire.
    Je suis désolée d’avoir « douté » de ces dames… et cependant on ne peut plus sincère dans mes propres commentaires quels qu’ils soient (!!!!!…..)
    Qu’à cela ne tienne, je persévérai en suivant tous vos merveilleux « voyages » si joliment détaillés, à défaut de…
    Bien sincèrement.

    1. Bonjour Béatrice,

      Ne soyez donc pas désolée, pourquoi le seriez-vous? Je sais que vos propos sont sincères et empreints de l’envie de vous lancer à votre tour sur le Chemin.

      Vos barrières sont nombreuses, vos doutes et vos questionnements sont légitimes, mais je vous le répète: à cœur vaillant rien d’impossible. Toutes vos « bonnes raisons » de ne pas partir ne sont que le reflet de vos craintes: osez !

      A bientôt,
      Luc

  3. Je suis déjà arrivé a la fin de ton histoire au bout du 42 jours !!
    Dommage, j avais pris l habitude de cette bonne lecture !!!

    Cela va bientôt faire 2 ans que tu as commencer ton Chemin, tu avais pris des notes au fur et a mesure des jours du chemin pour pouvoir les raconter ensuite ?

    1. Bonjour Didier,

      Tu es arrivé au 42ème jour, pas encore à la fin de mon pèlerinage, puisqu’il me reste encore 43 jours à rédiger ! Tout cela prend du temps, et le temps manque… J’escomptais pouvoir écrire un article/jour par semaine, et j’en suis pour le moment et à mon grand désarrois à un article par mois ! Mais j’y arriverai, rassure-toi…

      Maintenant, pour répondre à ta question, j’ai effectivement pris quelques notes, très succinctes: j’avais un PETIT carnet (environ 5×8 cm, poids oblige), et j’écrivais une ou deux pages par jour. juste la météo, les villes départ/arrivée, ainsi que les impressions du jour, les rencontres, etc. Mais vraiment pas grand chose.

      Et encore aujourd’hui, rien que ces quelques notes, les photo du jour, et un simple coup d’oeil sur la carte du trajet, et les souvenirs refont surface. On me l’avait dit, je n’y croyais guère, et c’est pourtant la vérité: chaque journée est tellement riche en émotion, les souvenirs sont tellement ancrés, qu’ils restent très présents. Il ne se passe pas un jour sans que j’aie un flash, une pensée, une image qui me viennent à l’esprit.

      A bientôt, pour la suite des aventures 😉

      Luc

      1. Merci pour ta réponse.
        Concernant la carte du trajet, c’est toi qui la crée après, ou c’est lorsque tu marchais que ton smartphone enregistrait le chemin au fur et à mesure ?

        1. Bonjour Didier,

          Je ne suis d’une part absolument pas aguerri à l’utilisation d’un smartphone, et d’autre part, il était hors de question que je dénature le caractère authentique d’un pèlerinage par des préoccupations bêtement technologique. Sans compte que, j’imagine, l’utilisation d’un smartphone à l’étranger doit coûter un pont (ou un bras selon les traditions et les région s! lol), puisque je n’ai jamais voulu non plus m’enquiquiner avec devoir me renseigner pour prendre une carte téléphonique d’un opérateur local.

          Et donc, en résumé, non, mon téléphone n’enregistrait pas les trajets au quotidien, et c’est moi qui, par la suite, ai pris la peine de retranscrire chaque étape sur un site de rando (que je transpose maintenant en sus sur Google Earth pour les trajets aériens).

          Merci pour toutes tes questions et réactions, je me revoie en toi avec tous ces doutes et ces interrogations qui étaient aussi les miennes dans les mois précédent mon départ.

          A bientôt,

          Luc

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