26/03/2015, jour 12: Hauteville – Bazancourt

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Si l’accueil de la veille laissait présager une agréable soirée, la nuit fut pour le moins agitée. Le café préparé pour accompagner mon carré de chocolat aura eu raison de mon sommeil, l’endormissement fut tout d’abord difficile. A n’avoir cesse de me retourner, mes nerfs se mirent en boule au même rythme que je m’enroulais dans mon sac de couchage. Je l’avais pourtant laissé ouvert, telle une couverture, mais tantôt coincé, tantôt à découvert, parfois à terre, ce satané sac n’en faisait qu’à sa tête. De rage, je posai le matelas à même le sol, et après plus de deux heures de combat acharné, calmé et éreinté, je finis par m’endormir…

Ce fut de courte durée: 4h30 du matin, un ivrogne hurle à tue-tête des onomatopées que lui seul comprend ! J’en suis presqu’à regretter de ne pas avoir dormi sous tente cette nuit. Dans un demi-sommeil comateux,  je me tourne sur mon bon coté et me rendors aussitôt. Jusque 6h30, où ce même ivrogne, je le sais, je reconnais sa voix, se met à nouveau à gueuler ! Ni une, ni deux, je m’empresse d’enfiler quelques guenilles, et ouvre telle une furie la porte du gîte, prêt à bondir sur cet indésirable pochtron ! Chemin de paix, Chemin de lumière, je veux bien, mais là, il l’aura bien cherché ! Tiens? Personne! Bizarre… Aurais-je rêvé? Après quelques secondes, j’aurai la réponse à ma question: d’ivrogne, il ne s’agissait que d’un coq enroué, et probablement insomniaque! Bienvenu à la campagne…

Réveillé pour réveillé, mais pas vraiment reposé,  je replie mes effets et avale un petit déjeuner succinct. Le démarrage est matinal, le ciel tout aussi gris que la veille. Le soleil peine à percer. Mais les températures se radoucissent, et quelques rayons suffisent à réchauffer l’atmosphère.

Changement de décor aujourd’hui: des contreforts des Ardennes, j’arpenterais les hauts plateaux champenois. Rien n’accroche le regard, comme les prémices d’une Meseta française. Chateau-Porcien m’apparait alors après quelques kilomètres, comme une oasis aux relents d’orient. En effet, une odeur d’encens plane dans ses rues. D’une église trop bien fermée, je ne saurai jamais d’où me vient ce parfum enivrant qui incite à la flânerie. Je commence à avoir faim, mon énergie s’en est allée. Le déjeuner trop léger  de ce matin est déjà loin dans les talons. J’ai envie de douceur, et au détour d’une rue, la devanture d’une boulangerie attire inexorablement mon regard. Deux pains au chocolat et une brioche plus loin, je reprends la route revigoré par tant de sucré !

Les sentiers empruntés jusqu’à présent me furent plaisants. Le vent chaud caressait mon visage, le soleil semblait enfin trouver sa voie à travers les nuages. Ce qui fut finalement un bon début de journée, allait vite se transformer en enfer! Au sortir de Chateau-Porcien, ce sont d’abord 10 kilomètres d’asphalte dur qui m’attendent, une large chaussée au milieu d’une plaine désolée. A cela est venu s’ajouter un vent fort et glacial, qui de caresse s’est vite transformé en coup de fouet, cinglant, piquant. Je relève mon col, déplie mon tour de cou, rabaisse mon bonnet, mais le blizzard s’infiltre à travers tout jusqu’à mes os. J’étais en grâce depuis le départ, mais aujourd’hui, comme une épreuve, le temps s’acharne sur moi. Le dos courbé pour mieux fendre l’air, le vent de face souffle encore et encore, de plus en plus fort ! Et le bien nommé village d’Avançon résonne en moi comme un signe venu du Ciel: « Avance, Luc, contre vents et marées, contre l’adversité, la vie est comme le Chemin. De face, tu affronteras ton destin. Et lorsque tu douteras, ne te retourne pas: avance, Luc, relève la tête et regarde au loin, le soleil finira par briller ! »

Comme pour m’encourager, du haut des collines, ça sera d’abord un lièvre timide et discret, puis une horde de chevreuils téméraires, qui s’aventurent à travers champs pour brouter les jeunes pousses à peine sorties de terre. Tous m’observent, et je les entends penser: « Vas-y, mon gars, tu y arriveras ! »

A la sortie d’un énième village répondant au doux nom de l’Ecaille, la pluie se mit à tomber. Quelques gouttes fines, rien de bien méchant. Il me reste 8 km à parcourir, et je croise les doigts pour que le sort ne s’acharne pas.

Mon guide m’indique une maison forestière, avec un sentier à gauche à ne pas rater. Précieuse indication et avertissement qui fait double emploi avec le balisage mis en place. Et de fait, sur un arbre face à un chemin pénétrant à travers champs, une flèche jaune m’invite à m’aventurer. La pluie a rendu le terrain glissant, mais je suis confiant pour les derniers kilomètres.

Puis soudain, face à moi, un champ fraichement labouré. Je suis stoppé net dans mon élan. Je consulte à nouveau mon guide, aurais-je manqué une bifurcation? Le balisage aurait-il fait défaut? Je n’ai d’autre choix que de revenir sur mes pas. Redoublant d’attention, je scrute chaque bas-coté. Rien d’autre qu’un nouveau sentier qui s’élance à angle droit, mais sans aucune indication. Je m’y engage timidement. Puis un autre, et encore un autre. Je m’y perds. Pas une seule habitation, pas un seul être qui vive en ces contrées. Au loin, j’entends bien un tracteur affairé, mais il est si loin, si petit. Je sillonne maintenant en plein champs par une sente à peine damée au milieu des mottes de terre toutes retournées. La pluie gagne en force, le vent redouble d’intensité. A même la terre, je suis contraint de poser mon sac et sortir mes vêtements étanches. J’enrage sur ma situation, je jure à voix haute, je blasphème: « Mais qu’est-ce je fous ici, grand dieu? « 

Mon livre prend l’eau, les pages collent. Je scrute l’horizon, je ne m’y retrouve pas. Il y a bien une ligne de chemin de fer en bas du vallon, mais si je m’en réfère, je suis bien au-delà de l’extrait de plan que j’ai avec moi. Elle constitue cependant mon seul point de repère. Je dévale au trot la pente douce, je traverse les voies, et prends à droite. Je fais du hors-piste dans une terre collante à souhait, mes chaussures semblent peser des tonnes. Des kilomètres à douter, pour enfin arriver à Bazancourt.

J’ai de nouveau réservé une chambre ce soir, et pour une fois, sans aucun regret. Je suis transi de froid, mon guide s’apparente à un vieux torchon, mes gants dégoulinent. Je rêve d’une douche bien chaude, d’une soupe fumante, d’un lit douillet. Mais à l’adresse indiquée, un magnifique et imposant corps de ferme, personne! Je retéléphone à mon hôte, qui me dit être partie faire une course et de retour dans une petite heure. Me voilà quitte à patienter, seul sur les marches glacées d’un seuil en pierre. Un bref tour du village n’aura pas suffi à me réchauffer, quand enfin une voiture s’engage dans la cour.

Je serai ce soir accueilli comme un roi ! J’ai eu ma douche bien chaude, ma soupe fumante, mon lit douillet. Avec un prime, cet adorable couple d’éleveurs de moutons qui me reçoit comme un fils. La conversation va bon train. Chantal et Dominique m’apprennent qu’une fois les enfants envolés, ils se sont retrouvés bien seuls dans cette énorme bâtisse. L’accueil est une tradition familiale chez eux, déjà les parents de Dominique, et bien avant ça, ses grands-parents, accueillaient les pèlerins qui osaient s’aventurer sur le Chemin. Reprendre le flambeau fut alors pour eux une évidence. Et il se passe rarement une semaine sans qu’aucun voyageur ne viennent agrémenter leur soirée. 

Leur contant ma mésaventure du jour, tout en consultant mes cartes pour tenter de justifier mon erreur, et faire le décompte du temps perdu et des kilomètres parcourus, Dominique ne put s’empêcher d’esquisser un sourire. Et d’un rire tout aussi narquois que complice, avec un grand clin d’œil, il me lança: « La terre champenoise, quand il pleut, elle vous aime tellement qu’elle en devient attachante ! » Il sait bien peu que par ses paroles, il réussit à effacer tous mes doutes. J’aurai au moins appris une chose aujourd’hui: si tu parviens à vaincre les difficultés, sois assuré qu’à terme, tu en seras récompensé !

Sur cette conclusion, je les remerciais chaleureusement, avant de me retirer dans ma chambre et m’endormir aussitôt. Demain, c’est Reims, sa cathédrale et surtout Pascal qui m’attendent !

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Ou celui du lendemain ?

© Luc BALTHASART, 21/01/2016

2 réflexions sur « 26/03/2015, jour 12: Hauteville – Bazancourt »

  1. Tu avances doucement … doucement… certainement…
    Normal, mes prières t’accompagnent à chaque moment, chaque instant, mais tu ne le sais pas…
    Tu as la force d’un guerrier mon amour, je suis si fière de toi.
    Je t’aime!

    1. C’est l’apanage des pèlerins d’avancer au rythme de ses pas, prendre le temps de tout découvrir et de se laisser imprégner par chaque paysage. Le temps est propice à la réflexion et le Chemin est tout aussi intérieur que géographique.
      Je ne savais effectivement pas que tes prières m’accompagnaient, c’est vrai. Mais il existe à travers le monde un fluide que l’on nomme amour, que d’autres appellent pensée universelle. Et nul doute que dans mon fort intérieur, je sentais mon sac plus léger, je ressentais mon cœur porté par tes douces pensées.
      Je t’aime tant et si fort et bien plus encore!

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