13/04/2015, jour 30: Bourges – Plou

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C’est Christian qui ce matin dès l’aube, tient encore le rôle du coq chantant. Alors que Phil et moi étions encore en plein voyage au pays des rêves, c’est dès six heures qu’il a commencé à faire d’incessants allers et retours vers un je ne sais où, jusqu’à ce que nous émergions des brumes de la veille. Encore un peu pâteux, notre bonne humeur n’est en rien entamée. Il en faudrait d’ailleurs bien plus pour gâcher une journée qui s’annonce très ensoleillée.

A l’heure du déjeuner, nous descendons ensemble dans la grande salle commune où, malgré l’organisation du Printemps de Bourges qui se profile, nous ne serons pas nombreux à nous retrouver. Seuls un jeune couple un peu silencieux, et un vieux chinois qui ne parle ni français, ni anglais, viendront se joindre à nous. Ambiance bon enfant donc, avec un personnel aussi souriant que disponible, et une baguette dont le croustillant résonne encore en moi. On discute un peu avec la responsable, l’autorisation nous est donnée de laisser nos sacs dans la chambre. Le temps pour nous de profiter de la matinée pour visiter un peu la ville et ses merveilles.

Nous avions fait hier l’impasse sur la visite de la cathédrale. C’est donc tout naturellement et sans tergiverser que nos pas nous y dirigent. Le temps d’un tampon sur nos crédentiales, mais aussi et surtout l’envie de découvrir les entrailles de ce monstre fait de pierres et de verres. J’apprendrai par la suite, mais je ne le sais pas encore, que je suis bien plus sensible au charme des petites églises qu’à ces grands édifices. Certes, il en impose. C’est grandiose, majestueux, titanesque. Les vitraux sont en outre d’une splendeur à couper le souffle. Le chœur, l’autel, les orgues, tout est opulence et ostentation, dorure et fioriture. Mais est-ce bien là l’essentiel? Je trouve qu’il manque à ces lieux une âme, une dimension humaine, la possibilité de trouver sa place et de se sentir en sécurité. Je déambule avec une sensation d’oppression, sans ressentir une seule fois l’envie de m’arrêter, de m’asseoir et de me retrouver. Il n’y fait pas que frais, il y fait froid, à tel point que j’ai hâte de ressortir et de me réchauffer, de retrouver un peu de vie et d’humanité.

Enfin à l’air libre, je respire.  Je découvre alors en compagnie de mes amis une ville en éveil. Les commerçants s’ébrouent devant leurs magasins à peines ouverts. La foule pressée se rue dans les avenues. Les facteurs s’activent, les balayeurs sont à pied d’œuvre. Ce matin, mi-pèlerins, mi touristes, nous observons avec détachement tout ce brouhaha. On prend le temps de se promener le nez en l’air au milieu de ces bâtiments blancs qui reflètent une lumière éblouissante. Dans les conversations qui nous animent, Phil confirme son intention de se poser une journée. Christian, toujours blessé, a finalement décidé d’attendre quelques jours pour se soigner chez son ami, avant peut-être de rejoindre Paris. Pour ma part, le Chemin m’appelle. Mais on tarde à se séparer. Un dernier verre, puis un second, jusqu’aux accolades. Je ne saurais jamais dans quel état d’esprit ils vécurent ces adieux. Je suis de mon côté très ému. Malgré mes airs de solitaire, en dépit de mes difficultés à accepter de partager mon Chemin, je m’étais attaché à eux. Ils resteront à jamais mes deux premiers véritables amis pèlerins. C’est sûr, ils vont me manquer ! 

Sur la route qui me ramène au gîte, j’ai le cœur gros. Je repense à ces trois jours, à notre rencontre, à nos soirées. Je repense aux courses que nous faisions ensemble, à nos repas et les verres partagés. Aujourd’hui, ce soir, et pour combien de temps encore, je vais de nouveau me retrouver seul. Et même si ma solitude m’est cher, ce sont aussi ces rencontres qui font la richesse du Chemin.

Dans la chambre, je ne peux m’empêcher de m’asseoir quelques instants sur mon lit. Je regarde leurs sacs à dos qui les attendent, leurs chaussures, bien alignées, juste à côté. Mais elles ne repartiront pas aujourd’hui. Je prends un bout de papier et je griffonne en hâte quelques mots à leur intention. Ma plume est l’échappatoire qui me permet de déverser mes larmes. Phil, fini cette année ce que tu t’es fixé comme objectif, puis reprend la route et termine ton périple. Continue ton chemin de vie, continue t’occuper de ta fille. Christian, tu es un être bon et profond. Prends soin de toi, soigne-toi, repose-toi, et reviens. Le Chemin t’attend.

Passé la banlieue cossue de Bourges, je traine ma mélancolie dans une succession d’austères grillages et de zones industrielles. La chaleur se fait accablante. L’asphalte se transforme en fournaise. Chaque pas me coûte, comme si un lien invisible me retenait à mes amis, comme si j’hésitais à rompre cet élastique qui me ralentit à force de se tendre. Un peu de forêt, des arbres encore trop maigres pour rafraîchir l’atmosphère. Puis à nouveau un sentier à découvert. Je ne parviens à me replonger dans le Chemin, à profiter de ma journée.

Alors que j’ai l’impression de voguer en plein désert, un cimetière sera mon oasis. Au pied de ses murs, j’y trouverais un peu d’ombre, un point d’eau, de la fraîcheur. Je pose le sac, je remplis ma gourde, je m’asperge le visage de cette eau froide qui je l’espère, m’apportera un peu de courage. J’hésite à redémarrer lorsqu’une dame vient à ma rencontre. Nous entamons la conversation sur le beau temps et les plantes qui se meurent de soif. Elle me parle de son défunt mari, de ses parents et de ses amis qui résident dorénavant et pour toujours ici. Elle vient chaque semaine leur rendre visite, gratter un peu la terre, repiquer quelques fleurs. Elle occupe ainsi ses journées, attendant son tour pour venir les retrouver à jamais. Loin d’être macabre, sans être pressée, son visage rayonne et elle semble sereine à l’idée de cette perspective. Finalement, le bonheur est simplement là, dans l’acceptation de son existence et du temps qui passe. Je resterais près d’une heure avec elle. 

Un peu ragaillardi par cette rencontre, j’entame le reste de la journée avec un peu plus d’entrain, sans prendre conscience que ce soir, j’ai décidé de bivouaquer, et que je ne sais toujours pas où me poser. L’heure est pourtant déjà là, le soleil commence à décliner, il est grand temps que trouve un endroit propice à la nuit. Mais je ne parviens à me décider. Encore trop craintif, peu aguerri à loger sous les étoiles, toutes les excuses sont bonnes pour repousser un peu plus l’échéance. Ce champ ci est trop à découvert, ce bois là me semble trop touffu. Ici, c’est trop près de la route, mais là, un peu trop loin des premières maisons.

Lorsque j’aperçois au fond de son jardin, un homme occupé à ranger ses outils, j’hésite un peu à l’aborder. Mais la fatigue est là, et je sais qu’il ne me reste que quelques heures avant que le jour ne meurt. De son portail, j’admire son jardin, sa pelouse taillée au ciseau, ses tas de bois alignés au cordeau. Je n’imagine pas un seul instant qu’il puisse refuser l’hospitalité à un pèlerin. Sa propriété est immense. Il m’aperçoit, il s’avance vers moi. Je me présente à lui en osant quelques pas sur les graviers fraichement roulés. Il m’écoute à peine et sans même prendre le temps de comprendre, il me dit simplement que ça ne sera pas possible. Je lui explique que je serai très discret, très respectueux de sa pelouse, que je me cacherai derrière un tas de bois ou dans un coin éloigné de sa demeure, et que demain à l’aube, j’aurai disparu. Aucune pitié ne transparait dans son regard, aucune compassion, il m’expédie comme un malpropre, m’invitant à continuer ma route jusqu’au prochain village.

Le soleil tombe inexorablement vers l’horizon. Je repars un peu dépité par tant d’égoïsme. De quoi a-t-il eu peur? De moi, pensant peut-être que je sois un rôdeur, ou simplement du fait que j’abîme son herbe et ses plates-bandes? Craignait-il que je l’importune à lui demander l’hospitalité, un peu d’eau ou à manger? Je ne lui en tiendrai pas rigueur. Mais alors que depuis mon départ, je n’ai rencontré que des âmes charitables prêtes à m’aider, j’avais oublié que parfois, la peur de l’autre peut amener à des comportements excessifs. Si il avait seulement pris le temps, si nous avions un peu discuté, il aurait appris à me connaître suffisamment pour être rassuré. 

C’est finalement sur le bord d’un terrain de foot que je trouverai un lieu prêt à m’accueillir. A l’entrée du village, un peu à l’écart de la chaussée et des premières habitations, caché derrière une frondaison de cyprès, je déballe mes affaires à la lueur du crépuscule. Ma frontale prendra vite le relais pour m’aider à planter les dernières sardines de ma tente. J’entends au loin quelques familles rassemblées autour d’un barbecue. Le chant des oiseaux fait place aux hululements de la nuit. Je repense à Phil et Christian qui ont certainement bien profité de la journée pour voguer de bar en bar. Ont-ils seulement penser à moi au moment de lever leur verre?

Je redécouvre aujourd’hui les joies du camping. Je me sens libre et léger, insouciant et heureux. Ce soir, je ne fermerai pas ma toile: j’ai un hôtel mille étoiles !

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© Luc BALTHASART, 23/05/2016

5 réflexions sur « 13/04/2015, jour 30: Bourges – Plou »

  1. Sur ma longue route vers la Bretagne où j’ai vécu 2 mois l’an dernier je me suis arrêtée dormir à Bourges dans la zone industrielle que tu décris, sans penser que le chemin y passait! Il est définitivement partout !! Je ne savais pas que tu bivouaquais, avais tu une tente ? Je comprends que l’homme n’ait pas voulu qu’on dorme sur sa propriété. Je n’aurais voulu non plus. Je pense que c’est dommage cela dit. Cette peur de l’autre. Merci pour ton récit.

    1. Quoique tu fasses, si le Chemin te happe, il sera toujours là, non loin de toi… 😉

      Oui, j’avais une tente, que je n’ai malheureusement pas utilisée aussi souvent que je l’aurais voulu. Des températures assez froides au début (première nuit à -4°c), une météo un peu incertaine, où du moins m’en convainquais-je pour déculpabiliser de dormir en gîte ou en famille d’accueil.
      Mais la tente m’a permis d’avoir une certaine autonomie, et une sécurité certaine lorsque je ne trouvais pas de logement, que les étapes étaient trop longues/courtes. Avoir une tente avec soi, c’est finalement la liberté de décider.
      J’avais opté pour une Ferrino Lightent 1, qui affichait 1,3 kg. Je l’ai cependant renvoyée par la poste une fois arrivé à Saint-Jean-Pied-de-Port, le camping sauvage étant (théoriquement) interdit en Espagne. Et puis, la multiplicité des gîtes en Espagne et l’ambiance qu’on y rencontre ne justifiait plus ce poids supplémentaire dans mon sac à dos.

      Quant au refus que j’ai essuyé aujourd’hui, je peux effectivement le comprendre, et comme je le précise, je ne lui en ai pas tenu rigueur. Je fus simplement surpris, habitué depuis 1 mois à des accueils des plus chaleureux et enthousiastes. Si seulement il avait pris la peine de m’écouter, d’apprendre à me connaître… C’est ainsi, ça devait être ainsi, et je vais finalement passer une merveilleuse nuit dans mon hôtel mille étoiles ! 😉

  2. Cc plus dur celle ci,mais tout aussi bien racontée
    belle photos souvenir avec les copains

    1. C’est toujours un plaisir et un honneur de découvrir vos commentaires et de savoir que vous me suivez si fidèlement !
      L’étape fut effectivement plus éprouvante. La chaleur, beaucoup de route, quitter mes amis avec qui je m’entendais si bien. Ce fut une journée « sans », mais demain est un autre jour…

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